
L’exposition inaugurale des nouveaux locaux de la Fondation Henri Cartier-Bresson se devait de rendre hommage à Martine Franck. Née à Anvers en 1938 et décédée en 2012, Martine Franck vécut en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, voyagea en Asie, devint l’assistante de photographes puis photographe indépendante et collabora aux grands magazines américains. Elle épousa en 1970 « HCB », qui avait déjà à ce moment délaissé son fameux boîtier. Au début des années 2000, Martine Franck mit sur pied la Fondation conçue en famille dont elle devint Présidente et qui serait vouée à la diffusion de l’œuvre de son époux et de la sienne.
C’est dès 2011, du vivant de la photographe qui se savait malade et en collaboration avec elle, qu’Agnès Sire, commissaire et gardienne avisée du temple, envisagea le projet de cette exposition. Un beau livre très complet vient de paraître à cette occasion aux Editions Xavier Barral avec un entretien de l’artiste. Aux cimaises de la Fondation comme dans l’ouvrage, le charme opère largement et la grâce qui caractérise le travail de Martine Franck est au rendez-vous tout au long de cette rétrospective.
On se laisse guider dans la traversée de la vie de cette femme libre, dont l’attention se portait souvent sur la cause des femmes et la conquête de leurs droits et qui savait rendre la tendresse et l’empathie que lui inspirait la vieillesse. « Pour être photographe, » disait Martine Franck, «il faut un bon œil, le sens de la composition, de la compassion et un sens de l’engagement ». L’engagement de la femme photographe se traduisait dans le choix des thématiques et des sujets: manifestations, travaux des femmes, choix des modèles ami(e)s. Son regard empathique savait aussi se porter sur la vie dans toute sa simplicité comme dans cette belle image de sa consoeur Sarah Moon jouant à la corde à sauter avec une petite fille. On découvre des scènes de vie au Royaume-Uni, en Irlande aux confins de l’Europe, en Inde ou à New York, mais aussi des portraits d’artistes tels celui de l’écrivain Albert Cohen ou de Cartier-Bresson en train de dessiner son autoportrait.

© Martine Franck / Magnum Photos
Martine Franck se fondit également dans la troupe du Théâtre du Soleil de son amie Arianne Mnouchkine qui avait partagé son voyage initiatique en Extrême-Orient. L’Asie occupe une place importante dans son itinéraire et cette rétrospective. On découvre de jolies photographies d’enfants moines tibétains mais aussi une émouvante série d’images datant des dernières années, avec des tirages un peu plus grands que la moyenne: belle évocation du bouddhisme dans lequel le couple HCB-Martine Franck s’inscrivait à sa manière.

Ne cherchant « pas vraiment à raconter des histoires, mais plutôt à suggérer des situations, des gens », Martine Franck n’opérait pas comme son (futur) époux, lequel disait d’elle qu’elle n’était « pas faite pour le trottoir ». Pas d’ « instants décisifs » dans ses images (sauf ici, en Inde) mais beaucoup de bienveillance, de confiance et d’ouverture dans le rapport au sujet.
Concernée et se sentant impliquée, Martine Franck avait «l’envie de comprendre, de se comprendre », parlant de sa pratique photographique comme d’« une quête incessante de la vie ». Elle avait l’humilité de considérer son travail comme « une goutte d’eau dans la rivière », ajoutant toutefois « mais j’y crois. » Sobriété et élégance : une grande dame.
Exposition Martine Franck. A la Fondation Henri-Cartier Bresson, 79 rue des Archives, 75003 Paris. Du 6 novembre 2018 au 10 février 2019. Mardi à dimanche de 11:00 à 19:00.