
Grande figure de la photographie dite « humaniste », Willy Ronis (1910-2009) avait lui-même sélectionné ce qu’il tenait pour l’essentiel de son travail. Neuf ans après son décès une exposition-rétrospective (*), organisée par la Mairie du 20è arrondissement, se prolonge actuellement dans un quartier de Paris qui fut très cher au photographe. Elle fait suite à l’entrée de l’œuvre dans les grandes donations photographiques à l’Etat français.
L’engouement du public devant ces clichés est manifeste: l’exposition vient de passer la barre des 70,000 visiteurs. Outre les 200 photographies offertes aux murs et légendées par Ronis de façon détaillée, le visiteur peut consulter des tablettes et bornes interactives avec accès commenté aux albums qui constituent le legs intégral aux instances officielles. Il peut aussi visionner des films dans lesquels le photographe se raconte et évoque son travail.
Le parcours de Ronis s’échelonne sur 75 années, des premières images réalisées au Kodak à soufflet jusqu’aux derniers nus en lumière naturelle dévoilés à la fin de sa vie. En neuf chapitres — de Belleville-Ménilmontant (enclos de mauvaise réputation chez les Parisiens autour de 1950) aux douces images de la vie familiale (dont le fameux « Nu provençal ») — on se délecte devant le travail d’un artiste humble et sensible qui fixa sur sa pellicule ceux qu’il tenait pour ses frères en humanité.
Au moment du Front populaire, Willy Ronis publia dans les journaux engagés à gauche ses images des défilés et grands rassemblements. Les photographies d’une petite fille au bonnet phrygien lors du défilé du 14 juillet et de la syndicaliste Rose Zehner haranguant les grévistes chez Citroën font partie de ses clichés emblématiques. Si les conflits sociaux ne sont pas sa seule matière, son respect et son engagement transparaissent toujours dans ses images d’hommes et de femmes au travail, saisis dans l’ordinaire de leur quotidien et dans une relation que l’on devine respectueuse et solidaire.

En amoureux des quartiers parisiens qu’il sillonnait comme Doisneau, Ronis arpenta pendant des années les ruelles, escaliers et ateliers, rencontrant des gens simples. Ne cessant de revenir vers des lieux aujourd’hui souvent disparus, il vivait « des bonheurs personnels et des bonheurs photographiques » qui, selon ses dires, ne faisaient qu’un. Avant comme après l’Occupation, son regard s’attachait sur des scènes pittoresques, toujours avec la même tendresse. Armé, si l’on ose dire, d’un Rolleifleix 6X6, il collectait dans les lieux les plus magiques et les plus lumineux de Paris comme dans la banlieue la plus grise une ponction d’images désormais empreintes d’une douce nostalgie. Ceci ne doit pas nous cacher leur qualité formelle ni la pertinence du point de vue comme dans ces Gamins de Belleville .
Outre l’ouvrage-somme de 600 pages éponyme de l’exposition Willy Ronis par Willy Ronis, les Editions Flammarion ont eu la bonne idée de rassembler dans un délicieux Paris Ronis bilingue français-anglais et à bas prix (*) les meilleures images de cet amoureux de la Ville Lumière.
Willy Ronis ne s’est toutefois pas contenté de photographier sa ville-fétiche dans ses multiples aspects. En province française, il s’attache encore aux ouvriers dans les grandes entreprises mais aussi à ces commerçants et agriculteurs qui font la « France profonde ». Là aussi il photographie la vie quotidienne, montrant la pauvreté comme les bonheurs simples. L’homme et le photographe ne font jamais qu’un, en reportage comme avec les siens qu’il prend parfois pour modèles (Vincent aéromodéliste). S’il voyage plus loin, en Méditerranée ou dans les Balkans, il fait preuve de la même curiosité pour l’humain dans son cadre de vie et reste un maître de la lumière et de la composition, à Venise comme au béguinage de Bruges.
Social et intimiste à la fois, auteur d’une œuvre vaste qu’il a placée entièrement dans les mains du public et dans laquelle il a lucidement identifié les meilleures perles, Willy Ronis donne et donnera longtemps à voir ce qu’était l’existence des générations passées. Il ne cherchait pas l’insolite « mais bien ce qu’il y a de plus typique dans notre vie de tous les jours ». Il ne pensait pas « qu’une fée spécialement attachée » à sa modeste personne ait semé « des petits miracles » sur son chemin mais plutôt « qu’il en éclot tout le temps et que nous oublions de regarder. » Nous n’avons pas fini de regarder et d’aimer son héritage.
NB: Toutes les illustrations: © Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, dist. RMN-GP, donation Willy Ronis
(*) Willy Ronis par Willy Ronis ; Au Pavillon Carré de Baudouin, 121 rue de Ménilmontant, 75020 Paris. Jusqu’au 2 janvier 2019, de 11 :00 à 18 :00, du mardi au samedi. Entrée libre
(**) Paris Ronis; Editions Flammarion. 9,90€