Luc Choquer à Lorient : trois séries pour passer « de la rue à l’intime »

La Galerie Le Lieu, située à Lorient et dont ce blog a déjà présenté le projet, consacre actuellement au photographe français Luc Choquer une exposition reprenant des images issues de trois séries emblématiques (*). Auteur d’une œuvre qui trouve son inspiration dans une approche personnelle de ses contemporains, Choquer est devenu photographe en 1979, à l’âge de 28 ans. Dans un style original, souvent porté vers un basculement de l’image et l’usage du flash en extérieur et en couleurs, il développe une photographie originale qui ressort généralement du genre sociologique. Luc Choquer a collaboré avec divers magazines et intégré successivement trois agences.

©Luc Choquer, Femmes d’Istanbul, Galerie Le Lieu

Aux cimaises de la galerie lorientaise, la série la plus récente témoigne du vécu des femmes d’Istanbul. Elle dresse, selon les propres termes du photographe, « un portrait du présent de cette fascinante (…) mosaïque de nationalités et de cultures, seule rencontre géographique entre l’Orient et l’Occident. » Entre l’empreinte du parti AKP du Président Erdogan et l’expression de la modernité, les images de Choquer donnent à voir une forme de cohabitation mais aussi de tension entre la pression du pouvoir islamo-conservateur et le quotidien de femmes qui s’en démarquent dans leur vie sociale et privée. Les femmes d’Istanbul disent « à elles seules », à travers cette série, toute « l’âme de cette ville » dans laquelle le photographe a ressenti la difficulté de travailler librement. Nous savons malheureusement avec lui que bon nombre de ses confrères ou journalistes y sont aujourd’hui moins bien traités encore.

© Luc Choquer, Ruskaïa, Galerie Le Lieu

Invité avec d’autres photographes par le pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev désireux de s’ouvrir au monde après la Chute du Mur et la Pérestroika, Choquer livre avec « Ruskaïa » sa vision d’un pays en mutation. Ici aussi les femmes l’intéressent particulièrement tant elles lui paraissent fortes, bien davantage tournées vers l’avenir et l’affirmation d’elles-mêmes que les hommes russes, sans doute paralysés par le poids de la bureaucratie et du collectivisme. « Leur regard, leur vitalité me fascina, » dit Choquer à propos de ces femmes. A Moscou ou à Saint-Pétersbourg, dans la rue comme dans les intérieurs collectifs, dans les coulisses d’un défilé de mode comme dans un mariage, Choquer s’est véritablement passionné par ce qu’il découvrit à ce moment. Son intérêt devant l’évolution du pays n’est plus le même de nos jours. Ce travail dans le cadre de la Glasnot (transparence) fut heureusement consigné dans un livre édité chez Marval et devenu collector. Il valut au photographe de décrocher en 1992 le prix Niépce, décerné par l’Association Gens d’Images.

©Luc Choquer. Portraits de Français

Dans la troisième série, Portraits de Français, Choquer dirige son objectif sur ses concitoyens. Il recueillit à l’époque (2000-2007) les confidences en vidéo de ses modèles à partir d’un questionnaire de type proustien et avec l’aide d’un ami psychologue. La vidéo, également présentée par la galerie, rend compte de fragilités multiples. Dans les images fixes, le photographe renouvelle le genre, délaissant le style de ses glorieux aînés pour montrer son pays dans une pluralité qu’il retrouve partout et bien en dehors de Paris. Des châtelains et des agriculteurs, des gens modestes ou plus aisés, la France de Choquer se révèle dans toute sa diversité sociologique et multiraciale. Le constat est on ne peut plus évident.

©Luc Choquer – Portraits de Français

Les modèles encore une fois sont saisis dans leur quotidien, en intérieur comme en extérieur, mais toujours dans leur réalité et sans artifice. Il est intéressant de noter que la prise de vue, toujours sur le vif, suivait la séquence vidéo : la confiance était de ce fait bien installée et la spontanéité garantie, malgré l’impression parfois dégagée par les clichés. Ce travail fut exposé en 2007 au musée du Montparnasse et heureusement repris dans un livre paru sous le même nom aux éditions La Martinière. Il n’a rien perdu de sa force ni de sa pertinence.

(*) Luc Choquer. « De la rue à l’intime ». Galerie Le Lieu, Hôtel Gabriel, Enclos du port, à Lorient, Morbihan. Du 12 avril au 16 juin 2019. http://www.galerielelieu.com       

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Trouver l’inspiration dans les techniques créatives : un manuel pour oublier votre smartphone.

©Editions Pyramyd

Le titre, « Manuel moderne de photographie », est sans doute quelque peu abusif et ne reflète  pas précisément le contenu de l’ouvrage publié dans sa version française par les éditions Pyramyd (*), spécialisées dans les ouvrages consacrés à la création, au graphisme et à la communication visuelle. Il s’agit en réalité, comme l’indique une pastille bien plus explicite, de découvrir ou de redécouvrir des techniques de photographie créative.

Pour sortir de l’éphémère et des réflexes « clique, ajoute un filtre, publie », ce petit livre qui se veut « une véritable déclaration d’amour à l’art photographique » nous présente en effet 58 sources d’inspiration pour créer des images originales ou poétiques. Chaque idée fait l’objet d’une  présentation claire et aérée sur une double page — une page-photo illustrant le résultat; une page de texte expliquant le procédé utilisé par l’auteur(e). Cela va des procédés classiques tels l’exposition multiple, le bon vieux sténopé ou la photographie d’un paysage à partir d’un train en marche à des techniques plus originales : comment créer des effets spéciaux, par exemple à base de vapeur, revisiter de vieilles photos avec du fil et une aiguille, dessiner avec la lumière ou encore créer l’illusion de sujets en trois dimensions.

Certains procédés se révéleront amusants (créer un petit théâtre d’ombres) ou ingénieux (créer de l’art botanique avec une boîte lumineuse). D’autres nous ont paru — à chacun d’en décider — d’un intérêt peut-être plus douteux (abîmer ses photos), voire un peu vain (créer du flou à l’aide d’un tourne-disque ou …verser du sang dans du lait pour produire une image abstraite; vraiment ?).  Quelques propositions cherchent volontairement la complication : faire, par exemple, le choix de l’argentique là où un logiciel permettrait un travail plus facile et plus économique, certes moins digne d’admiration devant la prouesse de la réalisation. Seule importe en définitive la satisfaction devant l’effet produit. Le pouvoir de la photo, rappelle Natalia Price-Cabrera dans son introduction, est infini. Comment ne pas la suivre sur ce point?

Ce qui frappe ici plutôt et nous interpelle, c’est le retour en somme très fréquent vers les anciennes techniques pour retrouver la magie de « l’ancien monde » photographique. Utiliser les procédés historiques n’est plus synonyme de ringardise, comme le prouve l’artiste argentine Gisela Arnaiz Fassi qui reprend le procédé du cyanotype, procédé mis au point en 1842 pour obtenir un tirage bleu de prusse. La recherche d’une atmosphère vintage va jusqu’à utiliser un APN pour prendre une photo à travers le verre de visée d’un appareil ancien ne fonctionnant même plus afin d’obtenir la poussière, les griffes ou les éraflures qui donneront du caractère aux photos.

Au fait, s’agit-il toujours de photographie ? Difficile de le nier puisque cet ouvrage, parsemé de quelques fiches techniques sur des moyens qui ne sont pas toujours des plus contemporains, se clôt en définitive sur… le daguerréotype.

(*) Manuel moderne de photographie. Natalia Price-Cabrera. Editions Pyramyd. 14,95 €
Mise en vente : 02/05/2019. Livre souple, avec rabats – 144 pages, 17 x 17 cm