En pause vacances jouons un peu avec les mots en découvrant ou redécouvrant sur ARTE l’excellente série documentaire « Pause photographie ». Le photographe portraitiste Stéphane Lavoué, qui officia notamment longtemps pour Libération, livre dans la Saison 1 de cette série le récit subtil et minutieux de ses séances de pose avec des figures de la politique, des arts ou du sport : une immersion, à ne pas manquer, au cœur de l’acte photographique.

On ne trouvera pas dans ces onze courtes séquences de questionnements sur l’art ou la pratique du photographe: Stéphane Lavoué raconte juste sobrement, minute par minute, ses rencontres, souvent brèves ou très brèves, avec un modèle dont il s’attache à fendre l’armure pour le saisir dans toute sa vérité.
Il nous dit son attente interminable de Vladimir Poutine, suivie de 11 déclenchements en 16 secondes pour décrocher « la » photo du maître du Kremlin au regard déterminé et glacial. Il s’agace, mais ne peut le laisser paraître, des contraintes imposées pour protéger leur Président de la République par des officiels iraniens. Ces derniers seront pourtant pris au dépourvu par une banale rupture de courant qui donnera l’étincelle et la photo-surprise d’Hassan Rohani.
Un Bill Gates peu avenant perce littéralement le portraitiste de son regard agaçant sur un sourire de cire. Le photographe a plus de succès dans sa ruse avec le nageur Florent Manaudou, « albatros à tête d’enfant ». On ne lui octroie que quelques minutes dans un palace avec un Zinédine Zidane couvé par des attachées de RP uniquement préoccupées de voir l’illustre modèle échanger son maillot – cette fois avant le match – contre un polo affichant le logo de Danone.
La série laisse voir un trombinoscope réalisé sur commande pour la Comédie-Française avec des modèles qui entrent dans le studio en professionnels mais qui, eux, jouent le jeu et dévoilent leur humanité. Le peintre Pierre Soulages, maître du noir chez qui tout est blanc, baisse lui aussi la garde. Il s’avère moins méfiant que Nicolas Sarkozy, cette « bête politique » qui soupçonne une utilisation malveillante par LeMonde de son portrait pour la Présidentielle de 2012: une séance tendue avec « un fauve qui ne tient pas en place », selon le photographe, finalement gratifié de deux minutes sept secondes sur « le ring » pour remplir son contrat.
La narration pure et simple de Lavoué ne laisse place à aucune illusion: le portraitiste, souvent convié à jouer les utilités pour produire une image qui accompagnera l’interview avec un organe de presse, encaisse et subit beaucoup pour devenir un court instant le maître de son ouvrage photographique. On songe à « La dernière photo », le livre de Frank Courtès qui officia lui aussi pour Libération: un auto-portrait sensible d’un auteur ayant vécu pendant un quart de siècle une passion pour la photographie qui se mua finalement en haine devant les turpitudes du métier et l’insupportable arrogance des modèles.
Stéphane Lavoué, lui, rapporte plus sereinement ses retrouvailles vingt ans après pour un portrait-rencontre avec le grand Sebastiao Salgado qui fit naître sa vocation de photographe. Lauréat du prix Niépce 2018, Lavoué a trouvé il y a quelque temps en Bretagne l’amorce d’un changement de vie et poursuit heureusement un travail personnel. La série d’ARTE se boucle joliment avec ses portraits de gens rencontrés chez lui, à Penmarc’h, en pays bigouden. Ces portraits-là sont faits non plus malgré mais avec des hommes et des femmes sans fard. Des images vraies, chargées de force et de dignité. Fascinant.
Regarder la Saison 1 avec Stépane Lavoué sur ARTE: https://www.arte.tv/fr/videos/RC-015514/pause-photographique/.
La Saison 2, avec Olivier Roller est à découvrir ici
Le site de Stéphane Lavoué : www.stephanelavoue.fr
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