Un demi-siècle de photographie française : le livre-synthèse

Michel Poivert, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Paris et historien de la photographie, s’est lancé dans un fameux défi avec un livre-synthèse (*) : partant du constat qu’aucune description de la photographie française depuis un demi-siècle n’a pu en montrer le visage, son ouvrage tente de le faire. Le propos ne manque pas d’ambition et Poivert est conscient qu’il lui faut choisir une méthode. Plutôt que de composer une anthologie, l’auteur identifie des axes forts, offrant au fil de huit chapitres des textes introductifs et des portfolios illustratifs comme autant de décryptages de 50 ans de photographie française.

© Editions textuel

A travers ces approches thématiques, telles que les transformations du reportage, la question du paysage ou encore la passion du quotidien (la vie de famille, les intérieurs, les objets, le mobilier), l’ouvrage permet de reconstituer la diversité d’une scène française. Puisque la France représentée par la photographie humaniste n’existe plus, que le métier de photographe change et que la culture numérique oblige le photographe à inventer de nouveaux modèles, l’analyse parcourt les (r)évolutions qui s’ensuivent: les images ne se soucient plus de plaire, les valeurs d’héroïsme du reportage s’effacent et le paysage lui aussi évolue. Poivert nous guide à travers les recherches et inclinations successives, s’attardant sur les expériences marquantes comme celle de la mission de la DATAR avec les approches du métier très différentes des photographes impliqués, dont Doisneau et Depardon.

Tous ces changements ne se font pas sans questionnements ni hésitations. L’intérêt des photographes pour « les choses de la vie » a changé mais le public est-il prêt à rompre avec le pittoresque? Les photographes sont conscients de la nécessité de faire corps mais les agences ou collectifs portent bien des projets très différents. Entre les désillusions des années 1970 et les productions spectaculaires contemporaines, la photographie française a aussi continué de parcourir le monde et même de l’observer d’en haut (Thomas Pesquet après Yann Artus-Bertrand) dans le même temps qu’elle se penchait vers l’intime.

Le livre entre également dans le champ de mines intellectuel avec les contributions des non-photographes et la réflexion qui s’est engagée il y a quelques décennies sur la nature de la photographie: Barthes, Bourdieu, Foucault, Derrida ont pris le médium comme objet d’étude. Des travaux sans doute passionnants pour qui peut s’y plonger mais une audience, pensons-nous, qui reste limitée chez les praticiens: ceux-ci trouvent trace des débats concernant leur art en des termes sans doute plus concrets dans leurs magazines photo (à nous de les choisir) ou dans nos grands quotidiens qui depuis les années 1970 se sont dotés de rubriques consacrées à la photographie.

L’Etat français par ailleurs aime la photographie — comment ne pas s’en réjouir? — même s’il est aussi bon de garder à l’esprit qu’action publique et loi du marché ne suivent pas la même logique. Les images forment un patrimoine en même temps qu’un marché. Paris en tous cas est la capitale mondiale du marché de la photographie (surtourt à l’automne; nous aurons bientôt l’occasion d’y revenir) et les initiatives pour valoriser la création ne cessent de se multiplier, des dizaines de festivals s’ajoutant désormais chaque année aux Rencontres d’Arles. Et le medium en question(s) évolue toujours vers de nouveaux horizons, dessinant une « photographie recomposée » dans laquelle on retrouve des procédés anciens en même temps que l’exploration de l’espace par l’installation photographique (JR).

La disgrâce étant, selon Poivert, « le mot qui unifie les enjeux esthétiques et historique », il nous dit que c’est l’éloge de cette disgrâce qu’il faut prononcer, ajoutant sur une note prudemment optimiste qu’« il en marquera peut-être aussi la fin ». Le tableau qui ressort de ce panorama et de cette succession des générations est celui d’une scène française bien plus que d’une « école ». Et le constat essentiel au terme de cette remarquable tentative de synthèse est bien celui-ci: « Au fond, la photographie française depuis les années 1970 est une immense expérience de la photographie elle-même. »  

(*) 50 ans de photographie française contemporaine. Michel Poivert. Relié, 416 pages, 59€. Couverture toilée avec marquage. Parution le 6 novembre 2019.

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