
© Zanele Muholi Courtesy of the artist, Yancey Richardson, New York, and Stevenson Cape Town/Johannesburg
La 23e édition de Paris Photo n’a pas manqué de présenter le meilleur de la photographie historique et contemporaine. Sous la verrière du Grand-Palais, une plateforme sans équivalent donnait accès pendant quelques jours à 180 galeries d’envergure internationale et à 33 éditeurs de livres photo, à des expositions du plus haut niveau, à des conversations, des échanges et des dédicaces d’artistes.
L’intérêt de la Foire est aussi de faire des découvertes et de prendre le pouls de la création photographique au-delà de la contemplation des vintages mythiques (Man Ray, August Sander) ou des hommages aux disparus (un livre de collages de Robert Frank, réalisé pour son épouse). Devant la profusion d’images, force est de se limiter à quelques présentations qui nous ont particulièrement marqué.

Selon une approche thématique, on notait sans surprise dans cette édition une poussée des sujets liés à l’identité ainsi qu’à l’urgence climatique et à l’environnement. Saluons par exemple cette exposition sans appel de « Carbon’s casualties » (victimes du carbone) de Josh Haner, photographe du New York Times. Dans les photos de paysage, on relevait notamment à la Jackson Fine Art galerie d’Atlanta le travail de Terri Loewenthal dont la série Psychscape renouvelle le genre en utilisant la nature comme matériau pour des images aux couleurs saturées, qualifiées par l’artiste de « psychédéliques » .


Soni Sahil, Marketing Manager – Pernod Ricard India & Finn Lac Donnell, Directeur du pub Dick Mack’s – Dingle, Irlande
Présenté en deux endroits de Paris Photo, Stéphane Lavoué, maître de la lumière et récipiendaire du Prix Niepce 2018, proposait d’une part chez Fisheye trois séries emblématiques, The Kingdom, Pampa et À terre — superbes compositions et tableaux de paysages de Bretagne renvoyant parfois aux peintres romantiques. D’autre part, les portraits croisés réalisés par Lavoué pour la Carte Blanche Pernod-Ricard capturaient des rencontres entre un collaborateur de la firme commanditaire et un individu reconnu pour sa capacité à fédérer autour de lui sa communauté. Le photographe a servi joliment le propos du groupe qui souhaitait illustrer sa diversité en montrant par exemple comment un jeune cadre indien de la firme fit la connaissance du propriétaire d’un pub en Irlande. La puissance esthétique des images témoigne de l’universalité de la convivialité par-delà les origines, les cultures et les métiers. Etonnant et rassurant tout à la fois.

Steene Projects Gallery
Plusieurs galeries avaient choisi l’option du solo show en se focalisant sur un artiste. Stene Projects de Stockholm présentait ainsi Lennart Nilsson, le premier photographe qui utilisa la technique du fibroscope pour fournir des images impressionnantes de l’embryon humain et du développement du foetus. Publiées pour la première fois dans Life en 1965, ces photos ne furent réellement tirées par le photographe qu’en 2012. Elle continuent de nous surprendre et surtout de nous émouvoir, alors que les technologies de l’imagerie médicale et du 3D n’ont cessé de progresser depuis. L’émotion ressentie tient sans doute au fait que Nilsson, décédé en 2017, était non seulement un pionnier mais un formidable raconteur qui nous a emmené au plus profond et au plus intime de notre propre histoire en touchant à l’universel avec les premières images de la conception humaine. Les photographies de cet homme qui ne se considérait pas comme un artiste sont aujourd’hui des oeuvres d’art à part entière.

Color Print on watercolor photo paper, Paci contemporary gallery (Brescia – Porto Cervo, IT).
Paci Contemporary, galerie réputée de Brescia, montrait le travail d’une autre pionnière, Nancy Burston, initiatrice des portraits composites générés par ordinateur. Parmi ses oeuvres récentes ce portrait mixé Trump-Putin qui fit la Une du magazine Time. A l’interaction elle aussi de l’art et de la science, Burston met en question la vérité photographique, utilisant des programmes informatiques qui permettent de superposer et manipuler des images, en jouant sur l’âge, la race ou même le caractère du sujet. Elle est à l’origine d’une méthodologie (le « morphing ») toujours utilisée aujourd’hui pour produire des images de la façon dont les sujets vieilliraient au fil du temps, ce qui donne lieu à des applications (la recherche d’enfants disparus ou enlevés, par exemple) plus intéressantes que les manipulations plus ou moins distrayantes offertes aujourd’hui par certains de nos logiciels.

Lauréat de la Résidence BMW destiné à soutenir la jeune création, le travail d’Emeric Lhuisset interpelle très vivement. Dénommé L’autre rive, ce projet tranche sur les nombreux sujets photographiques consacrés ces dernières années à des thèmes d’actualité et en particulier aux réfugiés. Observateur des situations conflictuelles du globe, Lhuisset est un photographe très original, qui considère son travail comme une retranscription artistique d’analyses géopolitiques. Muni de son appareil photo, il est parti il y a plusieurs années dans une zone sensible, aux frontières de l’Irak, de la Turquie et de l’Iran. Il y rencontré des combattants, Arabes ou Kurdes, au coeur de leur affrontement avec Daesh. Certains d’entre eux, devenus ses amis, sont depuis arrivés en Europe en tant que réfugiés. Lhuisset est allé les retrouver, là où ils sont à présent, et les a photographiés dans leur quotidien, tel ce jeune homme affilié d’une même chaîne de salles de sport qu’il fréquente dans différents pays.
A la différence de ses confrères souvent portés vers le misérabilisme, Lhuisset a voulu et su sortir de l’événementiel et du spectaculaire pour nous montrer « l’avant et l’aujourd’hui ». L’homme et ses images nous ont profondément touché par leur sincérité en regardant avec lui ces « photographies qui s’effacent progressivement à la lumière du soleil pour … laisser la place à des monochromes bleus ». Le bleu d’une mer où tant de vies furent perdues ces dernières années dans des naufrages absurdes. La couleur aussi d’une Europe en proie au mieux au doute ou à l’amnésie, au pire au retour de ses démons.
Professeur de photographie à Sciences Po Paris et d’art plastique aux USA, Lhuisset mêle son regard d’artiste et son intérêt pour la géopolitique pour nous faire réfléchir, questionner à la fois le rôle du photographe et le confort du spectateur, et donner pour qui s’y attarde tout son sens à une belle et émouvante réalisation.