
Depuis sa création il y a 85 ans, d’innombrables vedettes du cinéma et autres personnalités mais aussi des particuliers comme vous (et moi!) se sont prêtés au jeu du portrait par les bons soins du prestigieux Studio Harcourt. Un portrait en noir et blanc dans le « style Harcourt », avec ses caractéristiques et selon un savoir-faire immuable appliqué dans ce lieu de légende de la photographie, actuellement niché dans le XVIè arrondissement.

Photo Studio Harcourt
Commons Wikimedia.org
Un portrait Harcourt se présente typiquement comme un plan rapproché du sujet, photographié sous son meilleur angle, le plus souvent de trois-quart et/ou en contre-plongée mais pas toujours – témoin ce superbe portrait en lumière faciale de l’actrice Carole Bouquet. La mise au point se fait traditionnellement sur le brillant des yeux, l’arrière de la chevelure et même l’oreille pouvant être flous.
Mais ce qui caractérise véritablement un portrait Harcourt, outre la fameuse signature, c’est qu’il est éclairé par une lumière, souvent latérale ou en halo, émanant de projecteurs de cinéma. Cette lumière crée un effet prononcé de clair-obscur, avec un fond de dégradé du gris au noir. Selon son actuel président, environ 150 photographes ont réalisé de telles prises de vue au studio depuis sa fondation. Tous se sont inscrits dans ce « style Harcourt », dicté par le modus operandi des premiers photographes-maison, venus des plateaux de cinéma et spécialisés dans la manière de ciseler des éclairages au tungstène qu’ils appliquèrent au travail en studio. Harcourt resta ainsi longtemps fidèle aux lampes à filament au tungstène, relativement peu prodigues en lumière. Comme les pellicules noir et blanc avaient une sensibilité très faible comparée à celle des émulsions actuelles, une ouverture de diaphragme importante s’imposait naturellement. La profondeur de champ obtenue était forcément assez réduite et engendrait des contours flous.

Photo Studio Harcourt
Commons.Wikimedia.org
Le studio fut fondé par une femme, Cosette Harcourt, pseudonyme de Germaine Hirschfeld, qui le mit sur pied en 1934 suite à sa rencontre avec deux patrons de presse, les frères Lacroix. Cette femme moderne au genre de vie très libre fit rapidement de son studio un passage obligé pour les artistes et « tous ceux qui ont besoin du public ». La réputation de l’endroit devint telle que tout ce qui comptait ou voulait compter dans le domaine du cinéma et du théâtre mais aussi de la littérature, de la danse ou de la politique se précipita chez Harcourt pour obtenir son portrait. Le studio, qui déménagea maintes fois dans Paris, connut dès lors des années fastes avant et après la Deuxième Guerre mondiale quand toutes les grandes vedettes de l’écran (Louis Jouvet, Michel Simon, Jean Gabin, Marlène Dietrich, Clark Cable, Brigitte Bardot) mais aussi de la chanson (Edith Piaf, Jacques Brel par deux fois, Serge Gainsbourg,..) vinrent poser chez Harcourt.

La collaboration du studio avec sa fondatrice prit fin dans les années ’60 et Cosette Harcourt disparut en 1976. Les transformations intervenues dans le monde de la photographie et l’arrivée sur le marché de nouveaux types d’appareils précipitèrent ensuite le déclin de la marque Harcourt dans les années 1980. La maison déposa même son bilan en 1989.
Sous l’impulsion de Jack Lang et du Ministère de la Culture, les archives du studio, riches de quelques 6 millions de négatifs, furent cependant rachetées par l’Etat français. Le studio fut repris en 1993 par Pierre-Anthony Allard, un de ses anciens photographes. D’autres associations et de nouvelles directions suivirent, garantissant la pérennité du style et de ce patrimoine unique. En juin 2010, la direction du studio entreprit de confier une partie de son fonds d’images sous licence libre à Wikimedia Commons. Ces dernières années le studio a diversifié ses activités (boutique, beauté, café). Il continue de monter des expositions et d’offrir son magnifique écrin (*) pour des événements divers qui donnent à ses visiteurs l’occasion d’admirer son patrimoine.

On notera, en parcourant de la sorte la galerie des portraits Harcourt, que le cadrage en coupure inférieure se fait souvent sur une ligne située à mi-bras, entre l’épaule et le coude. Ce classique du studio ajoute à la représentation du visage des éléments corporels qui révèlent la corpulence et une attititude du modèle (Zinedine Zidane, par exemple).
Un cadrage très serré (close-up portrait) se retrouve plus rarement avec des sujets féminins mais s’emploie volontiers et convient manifestement aux « grandes gueules » masculines du cinéma (Michel Simon). Au-delà du maquillage qui s’applique ici aux hommes comme aux femmes, l’intention est sans doute de représenter un sujet féminin avec une peau sans défaut là où les rides et les imperfections serviront au contraire à valoriser une personnalité masculine.
On trouvera de beaux sujets d’étude dans les emblématiques Portraits du cours Florent, une exposition de portraits d’anciens élèves du célèbre cours parisien d’art dramatique, actuellement présentée chez Harcourt à l’occasion de la sortie de l’ouvrage Au cours Florent (**). Une autre exposition en collaboration avec Normal Magazine illustre en couleurs les Contes & Légendes, une série de portraits aux évocations oniriques et sensuelles comme ce Bacchus.

Bacchus. Série Contes et Légendes. Normal Magazine.
© Studio Harcourt
Même si vous ne pouvez vous permettre une séance particulière de maquillage et de portrait au studio (sachez toutefois qu’il existe ici et là en France et forcément à Paris des cabines Harcourt de type photomaton de luxe au tarif plus modeste), n’hésitez pas à aller découvrir ce lieu mythique. Plaisir garanti aux passionnés de l’art du portrait et de la lumière.
Pour aller plus loin:
- Un livre: Harcourt Paris, le mythe. Guillaume Evin, Dominique Besnehard, Éditions de La Martinière, 2014.
- Un film parmi d’autres: https://www.youtube.com/watch?v=gi-iETr3iiQ
(*) Harcourt Studio. 6, rue de Lota, 75116 Paris. http://www.studio-harcourt.eu
(**) Ouvrage de François Florent (éd. du Chêne). Portraits d’une soixantaine de ces Florentins devenus des figures de la scène cinématographique et théâtrale. Jusqu’au 31 décembre 2019 au Studio Harcourt.