ECM 50 : l’image au service du son

Un album du trio de Keith Jarrett. Enregistré en 2009, sorti en 2013
Un visuel typique de la marque
© ECM Records
Le Köln Concert de Keith Jarrett. 1975. © ECM Records

« Le plus beau son après le silence. The Most Beautiful Sound Next to Silence ». La formule d’un journaliste canadien fut très vite adoptée pour qualifier la production phonographique du label munichois ECM (Editions of Contemporary Music). Au-delà d’une empreinte sonore caractéristique, l’identité visuelle d’ECM (les pochettes de disques, en ce compris le choix des photographies) fit dès le début partie intégrante du projet. Cet apport de l’image était opportunément souligné lors d’un Festival de concerts d’artistes ECM et de conférences, organisé récemment à Bruxelles pour célébrer les 50 ans de la marque.

Le mur des pochettes ECM à Flagey. Bruxelles, Novembre 2019
Photo RD

Créée en 1969 avec le musicien (contrebassiste) et producteur Manfred Eicher comme cheville ouvrière, ECM est synonyme d’une esthétique musicale donnant au son une ampleur profonde, avec une utilisation abondante, parfois perçue comme excessive, de l’écho et de la réverbération. Le jazz — souvent européen et peu porté vers le swing — est le domaine premier de la firme. Des musiciens comme Keith Jarrett, Pat Metheny ou Chick Corea ont eux aussi enregistré chez ECM des disques qui ont marqué l’histoire du jazz. Le fameux Köln Concert de Jarrett (1975), totalement improvisé et brouillant les frontières entre genres musicaux, garantira pour longtemps la stabilité financière de l’écurie. D’autres séries ECM donnent depuis longtemps à entendre de la musique classique ou contemporaine (Arvo Pärt) et de la world music. A chacun de trouver ce qui lui parle.

New Chautauqua du guitariste Pat Metheny, 1979.
L’image, le son et l’espace
©ECM Records

Quel que soit le type de musique, le soin apporté à l’emballage du produit va toujours de pair chez ECM avec la qualité d’enregistrement. S’il ne fut pas le premier ni le seul à rompre avec la traditionnelle pochette affichant la photo de l’interprète — songeons aux albums de Blue Note dans le jazz ou à de grands disques de l’histoire du rock, ceux de Pink Floyd ou de Bowie notamment — Manfred Eicher a dès le début conçu ses albums non seulement comme de la musique enregistrée mais aussi comme un objet à regarder.

La graphiste Barbara Wojirsch ainsi que des photographes et artistes tels Roberto Masotti et Dieter Rehm ont oeuvré à la conception de pochettes évocatrices du contenu. L’exposition bruxelloise au bâtiment Flagey permettait de réaliser à quel point ces images, souvent floues, de grands espaces ou d’ambiances mystérieuses font écho au son gravé pour un catalogue qui avoisine aujourd’hui les 1500 numéros. Chargées d’une atmosphère souvent éthérée ou mystérieuse, illustrant des paysages ou des lieux souvent déserts, les pochettes ECM apparaissent comme la traduction ou la représentation du son. Le cover art est partie intégrante du produit et sert de porte d’entrée dans la musique. Il est là non pas pour faire illusion mais fonctionne comme une allusion ou comme une métaphore: la pochette oriente l’amateur vers la musique, lui donne des pistes pour l’écoute et la rêverie.

Un des albums de Jan Garbarek avec le Hilliard Ensemble. Alliance audacieuse entre un saxophoniste norvégien et un ensemble vocal britannique. 2010
© ECM Records

La majorité des photographies sont en noir et blanc et nombre d’entre elles tendent vers le minimalisme. Les paysages évoquent fréquemment les pays nordiques. Le fondateur et producteur Manfred Eicher privilégie de son propre aveu les ambiances de ce type (de nombreux musiciens ECM sont d’ailleurs originaires de Scandinavie). Plus de variété apparaît toutefois au fil du temps dans l’iconographie mais la tonalité reste généralement austère et énigmatique. Les rares photographies d’artistes sont presque systématiquement renvoyées au dos de la pochette. Le légendaire saxophoniste américain Charles Lloyd fait figure d’exception.

Souvent copiée ou dénaturée dans la fadeur de la musique d’ambiance (ambient music), l’esthétique ECM doit s’apprécier dans sa totalité. Elle retrouve une dimension à sa mesure avec le renouveau du disque et des pochettes vinyl. En s’appuyant comme à ses débuts sur les dispositions d’un public avide de climats où la beauté, même austère, surgit de l’expérimentation et en continuant de jeter des ponts entre les disciplines artistiques, le label ne fait pas son âge.

Article écrit en réécoutant quelques-uns des plus beaux morceaux du Marcin Wasilewski Trio, un des fleurons de la marque ECM en jazz contemporain.

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