Doisneau tel qu’en lui-même : son œil aigu sur la Bretagne

On connait Robert Doisneau pour ses thèmes favoris : la banlieue de Paris, le monde du travail, l’enfance, les bistrots ou les amoureux. La Bretagne, à priori, ne s’inscrit pas parmi les sujets de prédilection ou les théâtres géographiques d’opération du photographe chez qui l’humour n’est jamais éloigné de la tendresse ou de la mélancolie. Doisneau a pourtant visité et photographié aussi la Bretagne, ce qui suffit à motiver ici notre curiosité, par ailleurs rencontrée dans un livre édité et dans une exposition montée dans la région il y a quelque temps déjà.

C’est à titre privé que Doisneau voyage d’abord en Bretagne, avec son épouse et pour leurs premières vacances en 1935, à Saint-Quay-Portrieux. Le couple y reviendra en villégiature avec ses deux filles, Annette et Francine, pour des vacances en Morbihan. Même durant ses congés, le « photographe-illustrateur »  comme il se définit ne quitte pas son appareil et « reste inlassablement à l’affût », ainsi que le rapporteront ses filles (*). Si ses proches lui servent de modèles, Doisneau s’intéresse aussi aux rivages océaniques, au mouvement des vagues et aux aspérités des rochers.

© Editions Locus Solus. Muséee des Beaux-Arts de Quimper. 2018
Bigoudènes près de Pont-l’Abbé, juin 1966

La piste de Doisneau en Bretagne se perd un peu pendant les années de guerre : il retrouve, certes, la région du côté de Rostrenen mais ni les souvenirs de ses filles ni ses agendas ne nous renseignent sur le pourquoi de sa présence dans des lieux un peu perdus ou difficilement accessibles, surtout en ces temps de débrouille. Nous savons, par contre, que Doisneau acceptait les commandes, qu’il s’agisse de publicité ou de reportages pour des magazines et qu’il fixait volontiers sur sa pellicule les artisans et les représentants des petits métiers. 

© Robert Doisneau. Les Fileuses de Gouarec, 1942

Cette approche se poursuit pendant et après la guerre avec le thème des pardons bretons : Doisneau photographie plusieurs processions, notamment pour le magazine Bref, dont la durée de publication sera … très courte. Le talent du portraitiste, son art consumé du cadrage et son sens de l’image sont à l’œuvre là aussi.

Doisneau retourne encore en Bretagne pour photographier des Bigoudènes au milieu des années’60. Il saisit les scènes du quotidien (une vieille dame devant une buvette, un intérieur de ferme,…) avec l’œil amusé et la bienveillance respectueuse qui lui valent désormais sa notoriété, à Paris comme ailleurs. Il fournit aussi des reportages pour une presse engagée (Regards, La Vie Ouvrière, …), photographiant les conflits sociaux, une manifestation paysanne ou le travail en usine avec son habituelle empathie pour l’humain.

© Robert Doisneau. Bigoudène Place Bienvenue. Août 1959.

S’il n’a fait qu’y passer mais à plusieurs reprises, Doisneau a su, fidèle à son style, rendre compte avec justesse d’une région en mutation. Une photographie résume parfaitement ce point de vue : celle de cette Bigoudène montant dans une voiture en plein Paris. Dans cette image où la tradition rencontre la modernité, Robert Doisneau se retrouve simplement tout entier.

(*) Citées par Sophie Kervan dans Doisneau. Un œil sur la Bretagne. Editions Locus Solus. Musée des Beaux-Arts de Quimper.2018.

Photographies publiées avec l’autorisation de l’Atelier Robert Doisneau: https://www.robert-doisneau.com/fr/

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Joel Meyerowitz : l’oeil et les leçons du maître-photographe

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Ce livre n’existerait pas sans le projet de Chris Ryan, créateur des cours de photographie en ligne Masters of Photography, inaugurés en 2018 avec Joel Meyerowitz. Décliné en leçons d’abord sous forme de vidéos puis de livres, le projet consiste à réunir les plus grands photographes pour qu’ils nous guident et nous apprennent à utiliser nos yeux pour créer notre propre vision du monde qui nous entoure. Voici donc, dans sa version française aux Editions Eyrolles, un premier petit volume (*) consacré à Joel Meyerowitz, légende vivante de la photographie.

Né en 1938 à New York, celui qui fut parmi les pionniers de la photographie en couleurs nous entraîne dans son processus créatif, sa conception de la photographie et les secrets de sa pratique. Il nous fait part de son expérience, de ses réflexions sur la composition, de la manière d’identifier les sujets qui nous correspondent et de saisir l’inspiration. En 20 courtes leçons illustrées de ses photographies, il nous dit comment opérer dans l’espace public, être prêt à réagir, chercher les détails qui feront la photo, choisir la couleur ou le noir et blanc, jouer avec ce que nous voyons.

S’il fait figure de référence pour la street photography largement abordée dans ce livre, Meyerowitz est un artiste aux multiples champs d’action. Publié en 1978, «Cape Light», son travail sur la côte du Massachussets, est un classique incontournable d’une photographie plus contemplentive et vouée à l’étude de la lumière. Meyerowitz fut aussi le premier et le seul photographe à pouvoir accéder (par la ruse) à l’espace dévasté du World Trade Center de New York après le 11 septembre 2001, nous laissant ainsi un reportage fondamental et d’une inestimable valeur historique sur Ground Zero. Ce qui ne l’empêche pas de nous rappeler que tout est matière à photographie.

m-06c-joel-meyerowitz-paris-france-1967-courtesy-polka-galerieparis© Joel Meyerowitz. Paris, France, 1967. Polka Galerie

Comme toujours, les maîtres en photographie sont là pour nous inspirer mais ne peuvent remplacer le travail sur soi. La photographie, comme Meyerowitz le dit ici, est « une question d’idées » et ce sont nos idées qu’il nous pousse à réaliser, ce qui implique de comprendre techniquement mais aussi d’un point de vue sentimental, psychologique et physique comment nous positionner « au bon endroit au bon moment ».

Tout ce que nous faisons avec passion, obsession ou désir nous apprend des choses, non seulement sur notre support, mais sur nous-même.

                                                                           – Joel Meyerowitz                                                          

Meyerowitz a publié plus de 25 livres et ses photographies font partie des collections du MOMA comme de nombreuses autres galeries et collections dans le monde entier. C’est un vrai bonheur de l’avoir comme mentor, pour une première de ces promenades guidées. Suivez ce guide, à l’écrit comme à l’image. And go for it. Do it!

Découvrez le trailer de sa master class: https://www.youtube.com/watch?v=9o-2ef2bfvQ

Une mise à jour depuis la parution de ce livre et de cet article: une version française de la Master Class de Joel Meyerowitz (et d’autres photographes) est disponible depuis quelque temps. Renseignements et inscriptions sur: https://maitres.photo/

(*) Une vision de la photographie. Joel Meyerowitz. Editions Eyrolles. 14,4 x 20 cm. Parution le 13 février 2020. 15,90€

Photographier autrement : petit manuel pour trouver l’inspiration

Nombreux sont les photographes, amateurs ou autres, préoccupés par un souci de renouvellement ou d’inspiration. Quoi de plus naturel à l’heure où presque tout est instantanément transformé en image, quelle que soit la destination ou la durée de vie de celle-ci ? Les livres de photographes confirmés comme les manuels pratiques font office de pourvoyeurs d’idées et nous peuvent nous porter vers d’autres approches de la pratique. Edité par les Editions Pyramyd dans une collection qui propose déjà le même outil pour d’autres techniques artistiques telles le dessin ou l’aquarelle, un nouveau petit livre invite à photographier autrement.

© Editions Pyramyd
Photo de couverture © Florian Pérennès

Dans Le petit livre des grandes inspirations (*), Lorna Yabsley a rassemblé des dizaines de pistes pour nourrir l’inspiration du photographe. Illustré d’images puisées chez ses collègues en photographie contemporaine plutôt que chez les grands maîtres (Bill Brandt, Man Ray, René Burri et Martin Parr sont cependant cités), cet ouvrage recense des dizaines d’idées, de techniques ou même de styles (le minimalisme).

Cela va du simple changement de perspective et de propositions franchement banales (recadrer, aller vers des inconnus) ou souvent efficaces (la juxtaposition, les filtres) au recours à l’infrarouge ou à l’éclairage théâtral. Certaines techniques s’adressent au spectateur (jouer avec la réalité), d’autres sont carrément originales comme le freelensing (retirer l’objectif pour le tenir devant l’appareil) utilisé pour ce portrait très rapproché en couverture de l’ouvrage.

Chaque proposition fait l’objet de courts paragraphes et l’ensemble mélange allègrement les pistes, entre les thèmes (les jumeaux), les conseils (concentrez vous sur la couleur) et les techniques. Ces dernières peuvent être classiques (le sténopé) ou plutôt utilisées en photographie contemporaine, certaines – comme l’appropriation – étant même discutables, l’autrice en convient. Mais peu importe la source de l’inspiration si ce manuel souple et très bon marché vous permet de trouver de nouvelles voies, de relancer votre créativité ou de vous procurer d’autres émerveillements.

Ce petit livre est la version française d’un ouvrage édité l’an passé au Royaume-Uni. Yorna Yabsley, installée dans le Devon, poursuit depuis plus de trente ans une activité photographique aux multiples facettes. Elle est active dans le domaine commercial ou social, dispense des formations et des consultations et a écrit plusieurs livres sur la photographie. Plus d’infos sur son site.

(*) Photographie. Le petit livre des grandes inspirations. 176 pages illustrées. Editions Pyramyd. 12,90 €. A paraître le 5 mars 2020