La ruine, marqueur du passé et signe d’une disparition, revient souvent dans l’oeuvre de Josef Koudelka. D’origine tchèque et naturalisé français, le témoin en images de l’invasion qui mit fin au Printemps de Prague a notamment photographié par la suite les débris de l’industrialisation dans le nord de la France ainsi que les vestiges de l’empire soviétique en Europe de l’Est. Il a décidé de léguer au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque Nationale de France (BnF) un ensemble de près de 170 tirages issus d’une impressionnante série sur les sites antiques du pourtour méditerranéen.
Ruines rassemble des photographies prises par Koudelka pendant plus de 28 ans lors de ses pérégrinations sur un espace géographique s’étendant du sud de l’Europe au Proche-Orient. Le bel ouvrage que publieront bientôt les Editions Xavier Barral (*) accompagnera des expositions mises sur pied en collaboration avec l’Agence Magnum et qui devraient se tenir — il faut l’espérer — à Paris (BnF) et à Rome dans le courant de cette année.

Sur les sites archéologiques de Delphes à Pompéi, d’Olympie à Rome ou de Petra à Alep, Koudelka nous fait partager une/sa vision du paysage. Il opte pour le noir et blanc et pour un même format panoramique (du grec pan – tout, et horama – vue) mais dans une utilisation particulière. Ses cadrages, parfois au ras du sol, en plongée ou en contre-plongée, peuvent parfois surprendre. Passant des vues larges aux gros plans, des fragments aux successions de plans, Koudelka, déconstruit et reconstruit rigoureusement le regard, quitte à bousculer le lecteur-spectateur. Dans ce livre au format « à l’italienne », le photograhe ose un basculement à la verticale pour certains des panoramiques, créant certes l’instabilité mais forçant la perception et l’interrogation.

On contemple aussi certains sites archéologiques disparus ou gravement mutilés depuis la prise de vue par les conflits permanents dans le monde arabe, comme à Palmyre ou Bosra. Telle quelle, cette série nous renvoie à la civilisation gréco-latine, fondatrice de la nôtre, et nous montre l’homogénéité d’un empire, celui qui fut dirigé par et depuis Rome.
En regard des photographies de Koudelka, l’archéologue Alain Schnapp nous propose des citations ou extraits de textes puisés aux sources de la littérature antique et chez les écrivains-voyageurs. L’ouvrage comprend d’autres textes qui se penchent sur l’approche de Koudelka (Héloïse Conésa), son intérêt pour le format panoramique et la naissance de ce projet (Bernard Latarjet) ou l’histoire et l’image des ruines à travers les siècles (Alain Schnapp) .

Les images et les textes nous rappellent la force de la nature, de la main de l’homme et des désastres de l’Histoire transformant ces vestiges. Ils nous renvoient au passé mais nous forcent à nous projeter vers l’avenir devant ces ruines antiques qui résistent au temps. Si les ruines ramènent l’homme contemporain à ses failles et au souvenir des gloires anciennes, il y découvre aussi la beauté surgissant des décombres. La dernière image de Ruines — l’ombre du photographe sur le site d’Azanoi en Turquie — montre sa silhouette émergeant d’un chaos de pierres.
Koudelka, cet Européen originaire d’un pays sans mer, dit avoir trouvé dans ces ruines gréco-romaines « ce qui m’est désormais le plus précieux, le mariage de la beauté et du temps ». Il ne s’en est jamais lassé et souhaite, à quatre-vingt-deux ans, pouvoir y retourner: « Quelques photographies m’attendent encore là-bas. »
Les photographies reproduites ci-dessus sont extraites de
(*) Ruines. Josef Koudelka. Éditions Xavier Barral/Bibliothèque nationale de France, 2020..© Josef Koudelka / Magnum Photos. Un ouvrage de 170 photographies N&B, 368 pages, 55 €. A paraître le 3 septembre 2020 .
Expositions à la Bibliothèque nationale de France, Paris, du 15 septembre au 16 décembre 2020, et au Musée de l’Ara Pacis, Rome 2020 – 2021. Compte tenu des circonstances, vérifier les dates effectives auprès des institutions en question.