Photographe et auteur très prolifique pleinement reconnu dans le milieu, Michael Freeman continue de livrer ses clés et ses recettes pour la pratique de la photographie. Son dernier ouvrage, édité chez Eyrolles (*), repose sur le concept d’accès photographique — comment accéder au sujet pour « photographier ce que les autres ne voient pas ».
Ce livre considère comme acquis le fait que les compétences du photographe sont suffisantes pour prendre une image correcte. Freeman, qui nous a déjà donné des livres plus riches (**), s’adresse ici à ceux qui cherchent « le petit quelque chose en plus » en énumérant une série d’approches pour garantir cet accès, de la simple autorisation de se rendre dans tel ou tel endroit jusqu’à la compréhension du sujet. Notre auteur collectionne ce faisant pas mal d’évidences mais illustre son propos par des images puisées dans ses archives ou chez une trentaine de photographes dans tous les genres de la photographie.

Ne pas compter sur la chance ou le hasard pour être au bon endroit au bon moment. Mieux vaut avoir une longueur d’avance — c’est l’exemple fameux de Weegee, archétype du photo-reporter arrivé le premier sur les lieux du crime car branché sur la fréquence radio de la police new-yorkaise. Pas donné à tout le monde ? Il existe aujourd’hui des applications telles Photo Pills permettant de connaître la position du soleil, de la lune ou de la voie lactée en tel ou tel lieu. Tout comme peut s’avérer payant le simple fait de revenir toujours aux mêmes endroits et d’avoir, par exemple comme Bob Mazzer, une fascination pour le métro, ce qui lui a valu de prendre la photographie figurant sur la couverture de cet ouvrage.
Comment avoir le bon contact avec son sujet ? S’offrir un guide n’est pas à la portée de tous mais il peut être plus facile de s’inscrire à un atelier photo en choisissant soigneusement son point de chute. On tirera profit des connaissances et du travail fait en amont par un photographe expérimenté. En matière de photographie documentaire, l’acceptation vaudra mieux encore que l’accès. « Lorsque vous êtes accepté, les gens vous offrent vos images. mes meilleurs clichés m’ont été offerts, je ne les ai pas vraiment capturés« , nous dit William Albert Allard. L’immersion pour produire ses effets suppose la confiance, qui se mérite, et l’observation : admettons donc de passer d’abord du temps à …ne pas photographier.
On peut discuter l’assertion de Freeman quand il fait peu de cas de la « muse » mais comment ne pas le rejoindre sur le fait que l’attente de l’inspiration ne peut servir d’excuse pour ne pas travailler et qu’il faut laisser le projet guider la prise de vue ? Le livre incite, autre évidence, à creuser les spécificités du sujet. Avis aux amateurs tentés de monter leur petit commerce : la photographie culinaire exige une expertise en cuisine autant que la maîtrise de la lumière. La règle vaudra aussi, on s’en doutait, dans les domaines de la photographie de mode ou animalière (à moins que vous soyez disposé à vous faire dévorer par un lion). La clé du succès peut-être : créer son propre domaine comme Howard Schatz, qui fit de la photographie d’humains sous l’eau sa spécialité.
En concluant ce livre un peu fourre-tout par la question de la créativité, Freeman cite les conseils de ses pairs, lesquels varient naturellement dans leur approche. Faut-il laisser délibérément de côté la quête de la perfection et le fameux « instant décisif »? Cultiver l’ambiguïté en tant qu' »essence même de la photographie » (Joël Meyerowitz)? Ou encore explorer son identité en plaçant son propre corps et son propre visage au centre du projet (Cindy Sherman)? L’exemple, comme le suggérait un magazine photo, vaut souvent mieux que la leçon. Voir ce qu’ont fait les autres d’abord, pour ensuite définir sa propre méthode et se trouver soi-même.
(*) Photographier ce que les autres ne voient pas. Michael Freeman. Editions Eyrolles. En librairie depuis le 22 octobre. 160 pages, cartonné. 19,90€
(**) On recommandera notamment chez le même éditeur, Capturer la lumière et Capturer l’instant.