Gustave Le Gray, le pionnier clairvoyant

© Editions Actes Sud

La collection Photo Poche, créée en 1982 par Robert Delpire au Centre National de la Photographie à Paris, s’est imposée comme la première collection de livres de photographie dans ce format. La série de référence vient de s’enrichir d’une monographie (*) sur Gustave Le Gray (1820-1884), qui sut, aux débuts de la photographie, « unir la science à l’art ».

Choisi en 1851 pour faire partie avec quatre autres photographes de la Mission héliographique mandatée pour inventorier les édifices français d’importance ou nécessitant des travaux, Le Gray doit surtout sa reconnaissance parmi les pionniers de la photographie artistique à ses marines réalisées sur les côtes normandes, bretonnes ou méditerranéennes. Il a su, à l’ère où la photographie naissante ne maîtrisait pas l’instant, figer le mouvement des vagues et des flots, combinant les négatifs dans des épreuves qui s’apparentent aux tableaux et furent très appréciées à l’époque de part et d’autre de la Manche.

Ses connaissances en chimie permirent à Le Gray de mettre au point le négatif sur papier ciré sec de même que le négatif sur verre au collodion, procédés grâce auxquels l’artiste put s’appuyer sur les innovations du technicien.

Gustave Le Gray. La grande vague. Sète, 1857. Photographie dans le domaine public

L’exigence de qualité et la maîtrise au service du lyrisme déployées par Le Gray sont encore mieux perçues désormais grâce aux découvertes de ses autres travaux. A côté des commandes officielles, dont celles réalisées pour l’Empereur Napoléon III, le photographe, titulaire d’un atelier et de luxueux salons sur le boulevard des Capucines, connut réellement le succès entre 1850 et 1860. C’est ce qui garantit la conservation et la redécouverte récente de ses oeuvres, en particulier à travers les albums de riches familles ou les collections des puissants de l’époque.

J’émets le voeu que la photographie, au lieu de tomber dans le domaine de l’industrie, du commerce, rentre dans celui de l’art. C’est là sa seule, sa véritable place »

– Gustave Le Gray

Celui qui se qualifiait de « peintre d’histoire » excellait non seulement dans les images de forêts et de monuments mais aussi dans les portraits comme dans les illustrations de camps militaires et les mouvements de troupes.

Autoportrait. Circa 1859-1962

Cet artiste et inventeur n’avait pourtant pas l’esprit d’un homme d’affaires et c’est pour échapper à ses créanciers qu’il quitta en 1860 Paris et famille en compagnie d’Alexandre Dumas pour un voyage en Orient. Une escale à Palerme pendant l’insurrection de Garibaldi sera l’occasion de photographier ruines et héros avant de poursuivre seul l’exode en Syrie et au Liban après une brouille avec Dumas. Le Gray s’installe ensuite à Alexandrie puis au Caire, où il retrouve des commandes officielles par la grâce d’un souverain francophile. On sait peu de choses de sa fin de vie en Egypte. Des photographies de ce pays réalisées par Le Gray sont montrées à l’Exposition Universelle de Paris en 1867 mais l’homme ne retrouvera jamais Paris.

Son contemporain Maxime Du Camp, ami de Flaubert, dira de Gustave Le Gray qu’il aurait fait fortune « s’il n’eût été un hurluberlu ». Cet hurluberlu a pourtant conquis sa place dans l’histoire de la photographie et cette place est essentielle.

(*) Gustave Le Gray. Editions Actes Sud, Collection Photo Poche. Préface de Catherine Riboud. Format 12,5 x 19 cm, 144 pages, 13.00€.

Publicité