
En décidant de publier en ce mois de mars 2022 un nouvel album de 100 photographies consacré au travail de Patrick Chauvel, l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) n’imaginait pas à quel point cette publication coïnciderait avec le tragique de l’actualité. Son impact n’en est que plus fort.
Pour le trentième anniversaire de sa série d’albums vendus en soutien à la liberté de la presse, RSF avait choisi, avant la guerre en Ukraine, de revisiter la carrière d’un reporter de guerre qui figurait sur la couverture du premier album de sa série.

En couverture Patrick Chauvel blessé au Cambodge
Ce jeune reporter apparaissant blessé lors d’un reportage au Cambodge a connu une carrière exceptionnelle. Agé aujourd’hui de 72 ans, Patrick Chauvel a pendant 50 ans couvert des conflits parmi les plus sanglants et les plus absurdes. Commencé avec la Guerre des Six Jours (Israël et pays arabes, 1967) et au Vietnam (1968), ce qui lui valut de vendre ses premières photos aux agences Associated Press et Reuters, son parcours l’a mené sur tous les fronts.
Dans les guerres d’indépendance en Erythrée et en Angola puis dans le conflit au Liban et sur bien d’autres théâtres d’opérations pendant les décennies suivantes encore, Patrick Chauvel a montré les êtres et les paysages dévastés par la guerre, les visages des combattants et des civils pris dans la folie. Il s’y est plongé corps et âme, du Salvador à l’Irlande du Nord, en Bosnie-Herzégovine comme en Irak, en Syrie et en Tchétchénie.
Accusé d’espionnage et emprisonné par un groupe palestinien, prisonnier plus tard des Khmers rouges au début des années 80, Patrick Chauvel vivra les conflits au plus près pour rendre compte du sort des anonymes qui font l’histoire, de leurs angoisses et de leur courage au milieu des destructions. S’imprégnant des histoires vécues et racontées à hauteur d’homme, il sait que les larmes arrivent aussi après l’action. Patrick Chauvel a pris 380,000 photos et payé son engagement de sept blessures graves; deux d’entre elles l’avaient même laissé pour mort. Egalement documentariste et auteur, il était encore présent en août 2021 au retour des Talibans en Afghanistan.
Rassemblant ses photos les plus fortes, ce nouvel album RSF constitue aussi le premier ouvrage essentiellement photographique de Patrick Chauvel. L’album, qui s’ouvre sur un avant-propos du reporter, contient des éclairages fournis par ses amis et autres légendes de la profession tels le grand James Natchwey.
A l’heure du conflit en Ukraine et des épouvantables souffrances infligées à la population civile, les images de celui qui se voit en « rapporteur de guerre » ne montrent pas seulement l’horreur et la vulnérabilité des populations impliquées dans les violences: elles sont comme des preuves éclatantes des extrémités auxquelles est confronté ceux qui font profession de montrer ce « milieu hostile à la vie » dans lequel il est « très difficile de se maintenir à la bonne distance », comme le souligne Christophe Deloire, Secrétaire général de RSF.
Car en montrant les photographies de Patrick Chauvel et les risques encourus dans la guerre, cet album RSF offre aussi un témoignage des conditions dans lesquelles les reporters exercent leur métier au service d’un bien parmi les précieux qui pèse aussi – cela s’est déjà vérifié – sur le cours de l’Histoire: révéler l’information au public. Comme le dit le reporter lui-même :

© Patrick Chauvel
C’est à nous, journalistes, de rechercher la vérité et de la diffuser par tous les moyens. Face à la fatalité des événements, notre jugement est soumis à rude épreuve et l’œil du photographe ne transmet que ce qu’il voit : un instantané de guerre. Mais comme il y a toujours plusieurs photographes, plusieurs journalistes sur un même conflit, cette succession de témoignages finira par raconter « l’histoire-bataille », au plus près de la vérité des faits.
– Patrick Chauvel
Créé en 1985, Reporters sans frontières se mobilise sans relâche pour l’indépendance et le pluralisme du journalisme, soutenant les journalistes sur le terrain par des campagnes de mobilisation, des interventions auprès des gouvernements et autres parties, des aides matérielles et juridiques, des moyens de sécurité tels les gilets pare-balles et les casques. Chaque année également, RSF publie le Classement mondial de la liberté de la presse, un indispensable outil pour recenser la situation du journalisme à travers le monde.
Tous les albums de cette série dont ceux que nous avons déjà chroniqué dans le passé (Vincent Munier et Philippe Halsman) sont autant d’hommages à la photographie, au dessin de presse et à la bande dessinée. Celui-ci, on l’aura compris, est réellement essentiel pour la compréhension du monde qui est le nôtre et pour la défense des valeurs qui devront nous permettre d’en sortir ou du moins de l’améliorer.
(*) Patrick Chauvel. 100 Photos pour la liberté de la presse, numéro 69. Vendu au prix de 9,90€ au bénéfice de RSF.