Un an sur Instagram avec Jean-Marie Périer et Patti Smith

Je n’ai toujours pas créé mon compte Instagram. Ce choix peut surprendre dans le chef d’un photographe amateur se voulant un tout petit peu « averti » et ouvert aux échanges avec celles et ceux qui partagent sa passion. Pourquoi se priver de l’application la plus prisée des photographes et ne pas faire partie d’une communauté qui compterait deux milliards d’utilisateurs par mois dans le monde? (*).

Sans répéter ou discuter les critiques bien connues à l’égard d’Instagram, j’invoquerai simplement mon souci de maintenir une certaine réserve à l’égard des réseaux dit sociaux, un désir de garder mes distances à l’égard des messageries tendant à l’exhibitionnisme comme au formatage du regard.

C’est pourtant ce service de partage de photos qui a donné naissance à deux livres récents m’incitant à nuancer mon propos et à trouver des mérites à l’application quand elle est utilisée d’une certaine façon. Ces livres sont signés par deux utilisateurs d’un âge déjà avancé et qui n’ont pas attendu Instagram pour diffuser leurs images. S’ils doivent probablement à leur notoriété d’avoir fait paraître un ouvrage puisant sa matière dans leur compte, ils ont aussi en commun d’associer l’écrit à l’image.

                                             

© Calmann-Lévy

Le doyen de ces deux utilisateurs, Jean-Marie Périer, s’est fait connaître dans les années 1960 en photographiant pour le mensuel Salut les Copains les chanteuses et chanteurs de l’époque, celles et ceux qu’on désignait comme la vague yé-yé. Il s’est plus tard tourné vers le cinéma et a vécu plusieurs vies en visitant de nombreux pays.

Jean-Marie Périer n’a jamais cherché à être « reconnu » comme photographe. Ce n’est que tout à la fin du 20è siècle qu’il sera invité par les Rencontres d’Arles et qu’il publiera un premier livre de ses photographies. C’est grâce à Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, que ses images autrefois destinées à s’afficher sur les murs des jeunes adolescents firent l’objet d’une exposition suscitant un doux parfum de nostalgie. 

Ces photos des années ’60, celles de ces idoles dont certains sont restés ses amis, Jean-Marie Périer les faisait dans une complicité joyeuse. Tout le contraire, dit-il, des séances d’aujourd’hui dans lesquelles les prises de vues sont contrôlées en fonction de l’image du modèle, alors que les modèles de JMP… ignoraient même qu’ils avaient une image.

Sur Instagram comme dans « Déjà hier » (**), Jean-Marie Périer délivre en quelques paragraphes souvent joliment troussés une petite histoire ou une anecdote. Il esquisse un portrait, évoque un souvenir, convie ses humeurs. Il partage sous une image une réflexion qui s’y rapporte …ou n’a rien à voir. On ne retrouve pas seulement Johnny et Sylvie, Jacques Dutronc et Françoise Hardy, mais aussi les Beatles ou les Rolling Stones au sommet de leur gloire et pourtant toujours disponibles pour lui.

JMP replonge aussi dans son enfance, rend hommage à ses parents, raconte son père, le vrai, l’acteur et homme de théâtre François Périer, qui remplit pleinement son rôle. On cherchera en vain dans ce livre mention du père biologique, Henri Salvador, autre chanteur talentueux s’il en est, mais on croisera Françoise Sagan et Patrick Modiano, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, Brigitte Bardot et Federico Fellini.

Jean-Marie Périer © Calmann-Lévy

Ces chroniques sont empreintes de la grâce avec laquelle JMP a traversé les années et les décennies avant de finir aujourd’hui sa vie dans l’Aveyron avec sa chienne et ses deux ânesses. Tout est dit sans mièvrerie ni vulgarité, avec une pudeur et une gentillesse qui caractérisent l’homme. Son regard amusé et son élégance ne connaissent pas les rides. Cela doit tenir au fait que Jean-Marie Périer n’aura jamais été, de son propre aveu, qu’un amateur dans toutes les pratiques auxquelles il a touché, sans jamais être obsédé par la réussite.

Effleurer ainsi les choses ne mène peut-être pas à l’excellence mais cela aura fait une belle vie à un photographe devenu auteur (car c’en est un), qui revisite ses archives et nous parle de ce qui l’a touché jusqu’à aujourd’hui. En s’avouant conscient que ne resteront sans doute de son travail que quatre ou cinq photos peut-être, Jean-Marie Périer n’a pas tort d’ajouter, que « pour un photographe, c’est déjà beaucoup ».

La deuxième utilisatrice d’Instagram, Patti Smith, chanteuse américaine souvent présentée comme la papesse du mouvement punk, est bien plus que cela. Poète, écrivaine et photographe, elle a publié plusieurs livres, dont « Just Kids », le récit salué par la critique de sa relation avec le photographe Robert Mapplethorpe dont elle fut la muse dans le New York de la fin des années 1960, avant qu’il se fasse un nom dans le milieu. Ce livre, fruit du serment d’écrire leur histoire qu’elle fit à Mapplethorpe sur son lit de mort, lui valut en 2010 le US National Book Award.

© Bloomsbury Publishing

En 2018, Patti Smith entreprit de poster ses images commentées sur un compte Instagram. Disponible en anglais mais en attente de traduction à l’heure où j’écris, “A Book Of Days”(***) rassemble, à raison d’un partage pour chaque jour de l’année, des photos vintage ou des Polaroids puisés dans les archives de Patti Smith, entremêlés aux photos récentes prises avec son téléphone portable.

Dans l’introduction, la chanteuse-écrivaine explique qu’elle a ouvert son compte à l’incitation de sa fille, laquelle avait vu juste en pensant que l’application conviendrait parfaitement à sa mère qui écrit et fait des images au quotidien. Le compte permettait de se distinguer des faussaires se réclamant de Patti sur les réseaux. Il est devenu un carnet de notes, une collection de petites offrandes, nées en grande partie pendant la pandémie. Instagram, explique Patti Smith, est un outil pour partager ses découvertes, les anciennes comme les nouvelles.

Si la couverture du livre la présente avec son vieil appareil Polaroid 250, elle apprécie aujourd’hui la flexibilité du smartphone. Son esthétique personnelle est restée la même, qui garantit la cohérence de l’ouvrage entre images du passé et photos des dernières années. Car Patti Smith, née à Chicago en 1946, rock-star depuis l’album Horses (1975) suivi en 1978 du fameux hymne Because the Night, co-écrit avec Bruce Springsteen, n’a pas vraiment changé. Elle parcourt toujours le monde en chantant People Have The Power (1988). La prose a pris le pas sur la poésie mais Patti reste une artiste au travail, s’appliquant à elle-même son conseil aux écrivains en herbe : « L’esprit est un muscle, il faut l’entretenir, comme un athlète doit s’entretenir pour développer ses capacités » (Interview-rencontre avec la FNAC, 2017).

Cairo © Patti Smith, Bloomsbury Publishing

En quelques lignes seulement, Patti Smith parle donc de ce qui la touche, plonge dans ses souvenirs ou partage son penchant pour les poètes, français et autres. A New York ou ailleurs, elle transcrit ses fidélités et ses émotions. Ce livre des jours est une immersion dans son univers. On y trouve des photos de Cairo, son chat abyssin, de son café du matin, de ses lectures, ou encore de ses vieilles bottes ou de ses objets familiers. Comme Jean-Marie Périer, elle évoque ses amis et ses proches, souvent disparus bien trop tôt car la dame a traversé des épreuves et perdu des êtres chers, qui reviennent dans ses chroniques.

Au fil des jours et des pages surgissent aussi les photos prises lors des tournées, dans une chambre d’hôtel ou sur un quai de gare, comme à Bruxelles. Patti choisit régulièrement la date-anniversaire de ses héros et de ses héroïnes pour dire en quelques mots toute la place qu’ils ou elles occupent dans sa vie et son coeur. Elle rend compte de ses visites, nombreuses, sur les tombes de ses écrivains favoris — Arthur Rimbaud, William Blake, Albert Camus, Sylvia Plath. Car la dévotion, titre d’un de ses livres (Devotion) est un trait essentiel de sa personnalité et sous-tend son œuvre littéraire autant qu’elle nourrit ses heures. Jean-Marie Périer, lui, confesse une propension à admirer qu’il oppose au dénigrement et au sarcasme complaisamment répandus sur internet.

Chez Jean-Marie Périer comme chez Patti Smith, l’usage d’Instagram est honnête et convaincant. Le Français marqué par la culture et le mode de vie américain comme l’Américaine amoureuse de la France et de Paris sont deux êtres attachants, pour qui la pudeur et la gentillesse sont une manière de vivre et un moyen de communiquer.

En révélant sobrement mais avec des mots justes ce qui les pousse et continue de les inspirer, Jean-Marie Périer comme Patti Smith nous donnent à comprendre qui ils sont en saluant celles et ceux qui les ont inspirés. L’un comme l’autre utilise Instagram pour dire du bien des autres et non pas de lui ou d’elle-même. C’est ce qui les rapproche et me les rend proches. Et je me prends à penser que ces deux-là ne sont jamais autant eux-mêmes qu’en parlant des autres.

Du bon usage d’Instagram en somme.

(*)       Selon des chiffres parus dans la presse en octobre 2022.

(**)      Déjà hier. Une année sur Instagram. Jean-Marie Périer. Préface de Patrick Modiano. Calmann-Lévy, 2021, 19€.

(***)    A Book Of Days. Patti Smith. Bloomsbury, 2022, 26,50 €.

Publicité

La composition revisitée : une masterclass de Michael Freeman

© Editions Eyrolles

Photographe professionel depuis près de 40 ans, Michael Freeman a publié 78 livres traduits en 28 langues sur la pratique de son art. Parmi eux figure en bonne place L’Oeil du photographe et l’art de la composition, un grand succès du genre. Quinze ans après cette parution, Freeman revient sur le sujet sous la forme d’une masterclass et dans un ouvrage inédit (*).

Désignée et traitée ici comme l’outil le plus puissant pour exprimer la personnalité du photographe, la composition réussie, selon Freeman, est le résultat d’un effort et d’un entraînement constant pour se figurer comment une scène peut être traduite en image. « La plupart des photographes sérieux », dit-il, y pensent en permanence (…), même quand ils ne tiennent pas d’appareil photo ».

Mais comment les images sont-elles regardées et comprises? Pour générer l’intérêt et retenir l’attention, autant avoir quelques notions sur l’angle et le champ de vision. Des avancées sont intervenues ces dernières années dans les technologies de suivi du regard (eye tracking), qui mesurent en quels points et comment un observateur regarde une photo. Il n’empêche que les différences peuvent s’avérer marquées d’un observateur à l’autre.

Freeman explique ensuite les outils de la conception d’une image, à commencer par le point de vue (« de tout votre équipement, les deux éléments les plus utiles sont sans nul doute vos pieds ») ainsi que les optiques. On continue avec la façon de traiter les lignes, d’aplatir, de comprimer et d’organiser les formes. Freeman propose des schémas, du découpage à la suite de Fibonacci, la fameuse spirale liée au nombre d’or, tirant son nom du mathématicien médiéval qui l’a popularisée en sciences comme dans les arts.

© Editions Eyrolles

On ne regarde pas une image comme on regarde le monde réel. Une image a des bords qui nous poussent à chercher dans le cadre ce qui peut être intéressant.

Michael Freeman

L’ouvrage fait naturellement la part belle aux photographies impeccablement justes de Freeman, qui illustrent les notions et le propos pour chacun des chapitres. Un livre qui donne les clés pour penser son cadrage, exercer son regard, acquérir et revendiquer son style. Ne reste plus qu’à suivre les enseignements du maître.

(*) La composition. Michael Freeman. Les Masterclass. Adapté de l’anglais par Franck Mée. Editions Eyrolles. 1è édition 2022. 176 pages, broché, format 19 x 23,5. 23 €

Une réédition à signaler chez Eyrolles:

© Editions Eyrolles

Saluons la réédition de cet ouvrage destiné en priorité aux pros mais pas seulement. Pour vivre de son art, il faut le vendre et pour bien en vivre, il faut aussi bien savoir le vendre. Le livre d’Eric Delamarre permet au photographe d’apprendre à évaluer correctement ses prix et ses prestations. Mais l’ouvrage aborde également le cas des ventes des tirages d’exposition, fournissant aux auteurs, même amateurs, des indications bien utiles et des repères très précieux pour estimer la valeur de leur travail… ou de leur passion.

Les tarifs et le devis du photographe. Eric Delamarre. Collection Photographe Pro. Deuxième édition. 142 pages, format 14×20, 22 €.

Bel été à toutes et tous

David Yarrow, maître en photographie naturaliste et artistique

David Yarrow, photographe britannique (écossais pour être précis) né en 1966, jouit depuis quelques années maintenant d’une grande réputation pour son travail sur le monde animal et les espèces en danger. Pas très loin d’un Nick Brandt sans doute mais oeuvrant sur un terrain géographique plus large et d’une manière plus immersive, cet ambassadeur pour Nikon apporte par son activité, également philantropique, sa contribution au mouvement conservationniste.

Une exposition David Yarrow est accessible en ce début d’année et jusqu’au 12 mars à la A. Gallerie à Paris (*).

© Editions Eyrolles

Dans le même temps, après ceux consacrés à Joël Meyerowitz et Albert Watson, un troisième livre tiré de la série « Masters of Photography » paraît chez Eyrolles (**). En 20 courtes leçons, David Yarrow y fait part de son savoir-faire et de son expérience, depuis ses débuts dans la photographie de sport. Le jeune David Yarrow saisit à 20 ans le footballeur Diego Maradona brandissant le trophée après la victoire de l’Argentine dans la Coupe du Monde de 1986. L’intérêt et le succès rencontrés par le cliché s’expliquent par l’emplacement judicieusement privilégié du photographe et par le regard du génie du ballon rond fixé sur l’objectif. Cette image restera emblématique de l’événement comme d’une époque de la photographie sportive d’avant l’auto-focus.

Auteur d’un parcours très particulier, celui qui fut ensuite banquier et même propriétaire d’un fonds d’investissement avant de se consacrer définitivement à la photographie distille dans ce condensé ses conseils de composition et de perspective comme de comportement dans les milieux naturels dangereux. Il raconte comment il se positionne ou positionne son déclencheur à distance car les modèles de Yarrow ne sont pas toujours pacifiques.

La « marque » photographique David Yarrow se décline en noir et blanc. Elle se caractérise par une netteté parfaite, valorisée au tirage confié à son complice Joe Berndt. Parmi les autres recommandations, Yarrow souligne l’importance du travail en amont de la prise de vue: « J’ai réalisé mes meilleurs clichés en quelques secondes mais j’y ai investi des heures de recherches », souligne-t-il. Mankind, son cliché de vachers pris en 2015 au Sud Soudan et qui a largement contribué à son statut actuel, doit beaucoup à cette préparation méticuleuse.

The Squad, 2019 © David Yarrow; courtesy A-Gallerie

Si le type de photographie qui a fait son succès justifie forcément de tels soucis, Yarrow se dit persuadé qu’il est essentiel d’anticiper pour réfléchir sur le type d’image que nous voulons capter et que cela se vérifie pour tout type de photographie. La recette mais surtout le talent de l’homme ont fait de lui en quelques années l’un des photographes les plus côtés et les mieux payés du monde. Ses tirages ont souvent le format d’une table de billard ou plus. Il entend en faire des objets de convoitise et assume son propos. Cela lui vaut parfois des critiques mais lui permet aussi de lever des fonds pour des associations caritatives. Un juste retour des choses pour un photographe qui reconnaît avoir beaucoup pris au monde naturel.

David photographiant des éléphants, 2016
(quatrième de couverture)
© Editions Eyrolles

L’ouvrage comprend les photographies les plus célèbres et les plus saisissantes de Yarrow, illustrant son approche qui ne consiste pas à documenter le comportement des animaux ni à faire du photoreportage. Chez Yarrow en effet, l’appareil est un outil au service du photographe et de son ressenti: « Commencez toujours par la question qu’est-ce que j’essaie de photographier, puis déroulez le processus ».

L’ambition de David Yarrow reste bien de créer des photos artistiques, des images qui se suffisent à elles-mêmes, avec leur profondeur et l’émotion qu’elles dispensent. C’est le coeur et la finalité de sa pratique. Et l’émotion dans ses images naît souvent du regard et des yeux de l’animal.

Comme pour les autres livres de cette série, les lecteurs désireux de voir le maître à l’oeuvre pourront se plonger dans les vidéos. La bande d’annonce de la Master Class de David Yarrow, disponible en français chez Maitres photographes, est ici.

(*) David Yarrow. A. Gallerie. 4 Rue Léonce Reynaud, 75116 Paris. Ouvert du lundi au vendredi 10>13 & 15>19; samedi 12>19.

(**) David Yarrow, Une vision de la photographie. Editions Eyrolles, collection Masters of Photography. Broché, 128 pages, format 14,5 x 20; 15,90 €.

La photo et ses secrets : trois livres pour mieux les connaître

Alors que nos magazines photo de langue française connaissent des soucis de rentabilité et de diffusion (témoin la très regrettable disparition, pour de multiples causes, du Monde de la photo), les publications d’ouvrages spécialisés sur la pratique et les domaines de la photographie ne font décidément pas défaut. Peut-être faut-il y voir le signe d’une évolution où, à côté des utilisateurs de smartphone n’ayant d’autre souci que de fixer à la chaîne des images éphémères, un public plus restreint mais aussi plus averti et avide d’approfondir ses connaissances cherche encore à mieux maîtriser la technique ou à trouver l’inspiration en fonction de ses intérêts particuliers.

Plusieurs parutions ou rééditions sont notamment intervenues récemment aux Editions Eyrolles dans la collection Secrets de photographes, qui s’était entre autres enrichie l’an passé d’ouvrages sur les secrets de la lumière et de l’exposition, de l’astrophoto, des anciens procédés alternatifs, et même de la photo de boudoir.

© Editions Eyrolles

Dans Les secrets de la photo de nature onirique (*), nouvel opus de la même collection, Myriam Dupouy se propose d’aider le photographe passionné de nature à « dénicher la clé des songes » dans les paysages qui l’entourent, à traduire en images des atmosphères mystérieuses, à sublimer une émotion et surtout à paufiner une narration photographique pour transmettre à travers des images de la poésie et de la féérie.

Puisque « les rêves sont des images » et qu’ « alors les images peuvent être des rêves », le photographe est naturellement l’un des mieux placés pour illustrer nos rêves. Myriam Dupouiy introduit son sujet dans une première partie plutôt « philosophique »: convenons avec elle que « notre personnalité, nos états d’âme ressortent de nos photos », du moins tant quand il ne s’agit pas d’un travail de commande – encore que….

Formatrice pour la Nikon School, la Fédération Photographiqe de France et le Festival de l’oiseau et de la nature, l’autrice nous entraîne alors à la découverte des ambiances qui ouvrent la porte de l’imaginaire, à commencer par la brume qui plonge dans le mystère, par les merveilles de la forêt avec ses couleurs vives, ses feuillages éclairés ou encore ces trouées qui permettent de mettre en valeur un sujet. Myryam Dupouy dispense ses conseils de prise de vue pour l’heure bleue et l’heure d’or, ces moments magiques qui peuvent donner du fil à retordre au photographe, pour la pratique du low key et de son contraire, le high key. Comment faire pour plonger le spectateur de vos photos dans une atmosphère éthérée, dessiner avec la lumière et animer son « petit théâtre d’ombres » (Robert Doisneau).

L’eau dans tous ses états, y compris la neige et les nuages, ont forcément voix à leur chapitre de même que la nuit, ce berceau des rêves qui fournit prétexte ou oblige à pousser son matériel pour en tirer des effets qui ne pourront toutefois brouiller la lisibilité. On aborde aussi la macro et les possibilités qu’offrent la profondeur de champ, le recours au flou et au bokeh.

Illustré des images de la photographe, l’ouvrage se clôt sur d’autres techniques portant à l’onirisme tels la surimpression ou le « boîtier-pinceau », entendez le fait de se servir de son boîtier comme d’un pinceau pour créer des effets de bougé ou obtenir des tableaux impressionistes. Quoi de plus naturel, en somme, puisque cette école de peinture est aussi redevable au développenent de la photographie.

Et Myriam Dupouy d’avouer, en conclusion, que s’il ne fallait retenir qu’une seule chose de cette lecture, c’est bien que « ce n’est pas la photo de nature qui est onirique mais la nature elle-même ». D’où l’importance d’apprendre à voir autant qu’à photographier.

(*) Les secrets de la photo de nature onirique. Emotion-Narration-Ambiances-Techniques. Myriam Dupouy. Editions Eyrolles, Collection Secrets de Photographes. Broché, 176 pages, format 17×23 cm, 24 €.

Deux rééditions dans la même collection:

© Editions Eyrolles

On connaît le talent pédagogique de Gildas Lepetit-Castel. Ce photographe, formateur et éditeur indépendant, nous aide à penser autrement la photographie, selon une démarche axée sur la créativité, et nous a aussi expliqué comment concevoir son livre de photographie. On saluera la réédition de son ouvrage consacré à la photographie de rue, une pratique qui a fatalement subi l’impact de la crise sanitaire, d’autant que le port du masque a encore changé la donne. Reste à espérer que les photographes retrouveront bientôt et pleinement ce terrain pour capter, comme le dit Gildas, « autant de petits rectangles d’émotions sincères ».

Cet ouvrage très riche, brillamment illustré des photographies de l’auteur et qui fait désormais référence, remonte aux origines. Plutôt que de tenter une définition de la photo de rue, il commence par s’interroger sur ses finalités, sachant qu’il y a autant de regards que d’auteurs/photographes sur nos lieux publics, sur l’humain et sur son cadre de vie.

Pratique et toujours intéressant grâce à la personnalité et à l’originalité de l’auteur, le livre traite les questions de l’équipement, des réglages, des repérages, de l’attitude du photographe face au sujet ainsi que les problématiques spécifiques à l’éditing. Des images expliquées fournissent autant d’exemples de composition et de narration, pour utiliser le décor, jouer avec les lignes et le contre-jour. Un cahier pratique permet de faire ses gammes et de gagner en assurance en développant les bons réflexes en situation réelle. On lira avec intérêt également les témoignages recueillis par Gildas d’autres photographes qu’il apprécie tels Jean-Christophe Béchet ou Bernard Plossu, ce qui brosse un joli panaroma d’approches de la photographie de rue et rend l’ouvrage décidément très complet. A recommander sans hésitation.

Les secrets de la photo de rue. Approche-Pratique-Editing. Gildas Lepetit-Castel. Editions Eyrolles, collection Secrets de Photographes. Broché, 240 pages, format 17×23 cm, 26 €.

Les secrets de la photo lifestyle

© Editions Eyrolles

Vous avez peut-être, comme moi et les successeurs de Monsieur Jourdain, pratiqué longtemps mais sans le savoir cette forme de photographie. Puisque l’appellation s’est imposée, la photographie dite de style de vie a, elle aussi, trouvé sa place dans cette collection. Plutôt que le « énième truc à la mode », Baptiste Dulac, photographe de famille et de mariage, y voit une approche spécifique qui renouvelle le genre en saisissant des portraits de personnes dans des situations quotidiennes et des événements de manière artistique.

Antithèse revendiquée de la photo posée en studio, la photo « lifestyle » désormais étiquetée comme telle se donne donc pour ambition de capturer « de vrais moments de vie dans un cadre naturel, de saisir les gens tels qu’ils sont, de montrer les liens qui les unissent et de révéler les émotions. » Ce qui n’empêche pas — comment contredire le propos? — de vouloir s’informer et se documenter ici aussi sur l’équipement et la composition de l’image, sur la qualité et le bon usage de la lumière et sur les utilisations judicieuses du post-traitement. Pour donner peut-être, avec d’autres outils qu’un smartphone, une plus longue vie aux photos de vos proches.

Les secrets de la photo lifestyle. Portraits spontanés-Lumière-Composition. Baptiste Dulac. Editions Eyrolles, Collection Secrets de Photographes. Broché, 208 pages, format 17×23 cm, 26 €.

Un autre regard sur le Tour de France : quand la caravane passe

© Editions Cardère. Denis Lebioda

Le Tour de France déverse chaque année son abondant torrent d’images, fixes et animées. Parfois dramatiques et souvent spectaculaires comme lorsque le Tour emprunte la montagne, ces images contribuent depuis longtemps à la popularité de l’épreuve.

Adepte d’une photographie artistique et documentaire, Denis Lebioda vit et travaille dans les Hautes-Alpes. Il se définit comme un photographe de territoire, s’attachant à traduire en images le quotidien des habitants de sa région. Plutôt que le spectaculaire, c’est le banal et l’envers du décor qui l’intéressent. L’auteur-photographe aime citer cette phase de Philippe Soupault: « L’authentique pour moi, c’est ce qui est vrai, dans ce monde où tout est faux, conventionnel, accepté ».

N’ayant pas de passion particulière pour la petite reine, c’est en écartant l’idée de saisir en pleine action les efforts des géants de la route ou les aléas de la course que Denis Lebioda a braqué l’an passé son objectif sur le passage du Tour de France dans la vallée du Champsaur. Il l’a fait les yeux grands ouverts sur les à-côtés de la compétition, sur les installations préalables au fil du parcours de l’étape, et le moment venu sur les attitudes des habitants devant ce qui vient perturber mais aussi pimenter leur vie.

© Denis Lebioda

La caravane publicitaire fait patienter les curieux dans l’attente des coureurs dont la traversée d’un village se fera souvent en moins de deux minutes. Elle assure une bonne part du divertissement comme du financement de l’épreuve. Dans ce bourg comme dans bon nombre d’autres villages de la « France profonde », le passage du Tour sera sans doute l’événement de l’année. Mais en cette maudite année 2020, l’épreuve a été retardée pour cause de covid et la fête au village s’inscrit dans un contexte de distanciation sociale. La spontanéité n’est pas absente mais elle est forcément canalysée.

© Denis Lebioda

Denis Lebioda a opté pour le format carré et le monochrome, signalant de la sorte son refus du sensationnel pour traduire son propos et ses choix. Il traque le détail ou l’insolite dans les préparatifs et l’attente de la caravane publicitaire, s’attardant sur les signes avant-coureurs (c’est le cas de le dire) comme la mise en place des barrières de sécurité et de la signalétique. Il s’amuse des pancartes et des associations, il saisit les inscriptions et les drapeaux. Ses clichés montrent les saluts et les gestes de ses concitoyens qui se laissent gentiment porter par cet emballement temporaire et canalysé.

Denis Lebioda restitue cette atmosphère bon enfant grâce à un cocktail d’humour et de bienveillance. Sa vision du Tour de France a comme un parfum d’autrefois et son approche des hommes et de leur milieu de vie n’est pas sans rappeler celle d’un certain Robert Doisneau.

On pourra se procurer cet ouvrage sur le site des Editions Cardère, une maison d’édition avignonnaise normalement spécialisée dans les thèmes du pastoralisme et des sciences humaines. L’éditeur a récemment lancé la collection Regard d’ailleurs, qui entend s’ouvrir à « la photographie des mondes qui ont un retard d’avance ». Outre cet ouvrage, on pourra y découvrir le regard du photographe Christian Malon sur Venise à pas lents, des images argentiques en noir et blanc qui ont inspiré le poète Joseph Pacini .

Visiter le site de Denis Lebioda.

(*) La caravane passe. Photographies de Denis Lebioda, textes de Guillaume Lebaudy. Editions Cardère. collection Regard d’Ailleurs. Broché avec rabats, 88 pages, format 20×25, 28 €.

Découvrir la photographie avec David Bate

© Editions Flammarion

De nombreux ouvrages sur l’histoire de la photographie sont venus garnir les rayons des librairies ces dernières années. Certains s’inscrivent dans la catégorie « Beaux livres » mais d’autres sont d’un format et d’un coût plus modestes sans être superficiels pour autant.

Professeur de photographie à Londres, David Bate est un théorien reconnu dont les livres et les autres travaux critiques ou d’enseignement se penchent plus particulièrement sur les interactions entre l’image et la société. Les Editions Flammarion publient la version française d’un de ses ouvrages édité cette année au Royaume-Uni. « Découvrir la photographie » (*) s’appuie sur des exemples historiques représentatifs d’une tendance artistique ou d’une manière de documenter le réel ou d’appréhender les thèmes sociaux.

Depuis l’époque des pionniers jusqu’àux dernières formes d’expression, David Bate a choisi de retracer cette histoire à travers un choix de photographes, d’images et d’expositions, identifié(e)s comme emblématiques d’un jalon de l’histoire de la photographie ou d’un movement artistique renouvelant la façon d’appréhender le medium.

La sélection de Bate comprend quelques représentants majeurs comme Eugène Atget, Edward Steichen ou Robert Frank mais aussi des artistes moins connus comme certains Asiatiques ou comme le photographe pionnier afro-américain Augustus Washington, qui fut choisi comme portraitiste par son modèle John Brown. Ce dernier, meneur d’une campagne américaine anti-esclavagiste, sera pendu pour trahison en 1859. Son portrait, présenté dans un boîtier selon l’usage de l’époque pour les daguerréotypes, figure souvent dans les documentaires consacrés à cette figure historique de l’abolitionnisme. L’auteur du portrait, qui deviendra citoyen du Libéria, n’est pas toujours crédité pour autant.

Portrait de l’abolitionniste américain John Brown par Augustus Washington.
Daguerréotype, 1846-1847. Domaine public via Wikimedia Commons

Bate s’attache aussi à quelques épisodes marquants de l’aventure photographique comme la revue Camera Work et la Galerie 291 d’Alfred Stieglitz ou encore l’exposition The Family of Man, montée en 1955 par Steichen au Musée d’Art Moderne de New York (MOMA) et qui voyagera partout au point de compter le plus grand nombre de spectateurs après la Deuxième Guerre mondiale avant de trouver aujourd’hui une implantation permanente au Grand-Duché de Luxembourg.

L’ouvrage rend par ailleurs justice à plusieurs femmes photographes. A l’exception de l’inévitable Cartier-Bresson, de Brassaï (Hongrois d’origine) et de la plasticienne-sculptrice Annette Messager, il ne cite guère les Français mais on admettra qu’il y a bien d’autres livres pour cela .

Bate consacre ses derniers chapitres au post-modernisme et à la photographie d’art dite contemporaine (Jeff Wall, Hiroshi Sugimoto, Andreas Gursky, notamment). Il y rend compte d’une diversité grandissante et des nouvelles pratiques dans lesquelles la photographie devient une technique parmi d’autres au service d’un « concept » ou autre projet s’adressant à la réflexion du spectateur dans un environnement globalisé.

Le livre propose des lectures complémentaires ou ciblées pour chacun des grands mouvements, de même qu’un glossaire des termes de la photographie.

Cet ouvrage, qui peut ouvrir la voie à de multiples réflexions sur le rôle de la photographie, montre comment celle-ci n’a jamais cessé d’influencer la façon de voir le monde. Au-delà des mutations techniques, cette histoire-là se poursuit désormais dans un éclectisme culturel et à travers des approches qui ne sont pas toujours faciles à appréhender mais dans lesquelles la valeur marchande n’est pas absente.

Où se situent alors les limites de l’art photographique, à supposer que la question se pose encore? La photographie ne risque-t-elle pas de perdre son âme? C’est une autre histoire, que raconteront peut-être d’autres livres sur la photographie.

(*) Découvrir la photographie. David Bate. Editions Flammarion, collection L’art en poche. Broché, 176 pages, format 139×216 mm, 12€. Parution le 27/10/2021.

Françoise Lerusse trouve sa voie dans le chaos de Bangkok

Françoise Lerusse vient de publier son deuxième livre de photographies (*). Cet ouvrage auto-édité est une très belle réussite.

Passionnée de photographie urbaine, Françoise Lerusse a voulu traduire en images son ressenti devant Bangkok, la capitale thaïlandaise, découverte lors d’un premier voyage en 2017. « La première impression est celle d’étouffement, d’écrasement, de chaos », explique-t-elle dans son texte d’introduction. Dans cette mégapole asiatique, en effet, tout — immeubles, infrastructures, véhicules, panneaux, boutiques, population se déplaçant par tous les moyens — participe à un invraisemblable enchevêtrement de lignes, de volumes, de couleurs. L’ensemble dégage une énergie constante et incontrôlée. Et sur tout cela se greffe une épouvantable pollution, environnementale et sonore. Autant d’éléments que la photographie, par essence, a du mal à traduire.

Tenter de relever ce défi en tant que photographe, c’était donc partir d’un redoutable constat : rien, dans le désordre de Bangkok, ne permet a priori de structurer ce qu’on voit pour en sortir des images. Pas le moindre vide ou espace pour organiser la vision.

Faute d’une lisibilité immédiate, comment rendre compte alors de cette confusion, de cette exubérance,, de cette agitation protéiforme?

© Françoise Lerusse

Animée d’une répulsion-fascination devant ce spectacle, la photographe a choisi, dit-elle, de suivre ses émotions. En jouant des et avec les reflets, en suivant les lignes et en composant habilement avec les formes, elle nous fait entrer dans cet extrordinaire bouillonnement. Le premier choc visuel passé, on se prend à trouver un semblant de sens, des directions qui guident l’oeil et qui font pénétrer plus avant dans l’enchevêtrement des matériaux et des humains.

© François Lerusse

La couleur vient à l’appui pour distinguer les formes et les êtres qui tracent leur chemin sur une invraisemblable accumulation à la verticale comme à l’horizontale. On regarde attentivement et on réalise qu’on est au-delà d’un rendu purement documentaire et qu’on se trouve en présence d’un projet réellement esthétique. Et on finit par décèler cà et là, devant le béton et à côté des signes, de subtiles touches de poésie.

Photographe belge partageant son temps entre trois pays, Françoise Lerusse se consacre depuis quelques années à la photographie après un parcours dans le journalisme audiovisuel et la publicité. Passionnée d’arts plastiques, intéressée par les villes, elle apprécie par ailleurs des horizons plus paisibles ou la douceur des vieux villages tels ceux du Var, où elle a trouvé le sujet de son premier livre, Dans les plis du vieux village.

Françoise Lerusse a accumulé elle aussi, à travers ses expériences passées, ses connaissances artistiques et le savoir-faire acquis au travers de ses formations, les atouts qui lui permettent d’exprimer par la photographie sa sensibilité. Tout cela a fait de Chaos un travail très personnel. Françoise Lerusse a superbement relevé son défi.

De format modeste, l’ouvrage est intelligemment conçu, imprimé sur un papier Munken Polar semi-mat judicieusement choisi pour ce propos.

Ce livre est à commander sur le site de Françoise Lerusse. 25 €, frais d’envoi inclus.

(*) Chaos. Françoise Lerusse. Postface de Mélanie Huchet. Direction artistique et mise en pages de Raphaël Lévi. Format : 150 x 200 mm, 68 pages. 28 photographies couleur. Imprimé par Yenooa.

Photographies colorisées : un livre pour remonter le temps

Nos albums de famille sont des trésors dont seront privés nos descendants du fait des nouveaux procédés mais surtout des mauvaises habitudes contemporaines. Ils nous font voir le passé sans ses couleurs de même que l’histoire de la photographie et notre représentation mentale de ce qu’elle nous montre font percevoir en noir et blanc la vie d’autrefois. Les pionniers de la photographie ont pourtant recherché la colorisation dès les origines. Thomas Sutton prit une photographie selon la méthode à trois couleurs dès 1861. La plaque autochrome des frères Lumière, premier procédé photographiqe en couleurs, fut mise au point en 1903 et le premier brevet date de 1912. En raison de sa complexité, de son coût et de ses imperfections, la photo en couleur ne s’imposera toutefois pas avant longtemps. Il faudra attendre la deuxième moitié du siècle passé pour assister à la « démocratisation » de la pellicule couleur.

© Editions Glénat

Comme pour le cinéma, la colorisation des photos anciennes n’est pas toujours bien acceptée mais les logiciels contemporains, quand ils sont judicieusement employés par des passionnés, peuvent nous offrir de véritables révélations dans tous les sens du terme. Wolfgang « Chris » Wild, créateur du site Retronaut, est un curateur d’images historiques à l’ère digitale. Il s’est associé avec le coloriste Jordan J. Lloyd pour un ouvrage dont la version française éditée chez Glénat (*) rassemble un choix de 130 photographies présentées dans un ordre chronologique décroissant, comme une machine à remonter le temps.

La plus récente de ces images date de 1949 (elle est l’oeuvre du jeune Stanley Kubrick, alors apprenti photographe pour le magazine Look) et la plus ancienne de 1839 (le premier autoportrait photographique). L’émerveillement joue dès la couverture du livre montrant le monoplan de l’aviateur Louis Blériot s’envolant de Calais pour sa traversée de la Manche un matin de juillet 1909.

Si la plupart de ces images ne sont pas l’oeuvre de grands noms de la photographie, certaines sont célèbres : on découvre ainsi, non sans émotion, une image en couleurs de la Migrant Mother de Dorothea Lange. Une photo mythique de Lewis Hine documentant en 1920 le travail d’un mécanicien sur une machine à vapeur conserve son message social en acquérant une dimension esthétique. En suivant le cours du temps surgit plus loin du passé et de la gare Montparnasse la locomotive à vapeur tirant ses wagons qui s’écrasa au pied de la façade de l’ancien bâtiment le 22 octobre 1895 : un accident spectaculaire qui ne causera miraculeusement qu’un seul décès.

Le River Boat Jazz Band d’Art Rhodes en promotion pour un concert à Times Square, New York, juillet 1947.
© Photographie de William Gottlieb/Bibliothèque du Congrès. © Glénat

L’édification de la colonne Nelson saisie par Henry Fox Talbot à Trafalgar Square en 1844 manque forcément de définition mais les portraits en couleurs d’anciens combattants des guerres napoléoniennes posant aux alentours de 1858 dans leurs uniformes aux couleurs chatoyantes sont très saisissants de même que le portrait du jeune bandit Jesse James armé de son Colt. On découvre encore la Tour Eiffel, le Tower Bridge de Londres ou le Golden Gate de San Francisco en phase de construction. On pénètre dans l’atelier du sculpteur Bartholdi dans lequel des ouvriers bâtissent la statue de la Liberté. Des images surprennent comme celle de l’iceberg qui causa la perte du Titanic, prise depuis le navire qui vogua au secours du paquebot le 14 avril 1912. Une très bonne photo, qu’on n’imaginerait qu’en monochrome, restitue les couleurs saturées de l’intérieur d’une grotte de glace en Antartique lors de l’expédition du capitaine Scott en 1911.

Le livre permet de découvrir des scènes de rue ou de la vie quotidienne, des images montrant l’évolution des techniques ou des transports, ce qui réserve des surprises comme cette jeune femme rechargeant son automobile électrique… en 1912. Il y a des images de paix et quelques événements dramatiques comme l’incendie d’un dirigeable, des scènes de guerre ou la pendaison des conspirateurs de l’assassinat du Président Lincoln. Il y a des portraits façon carte postale comme celui du couple vieillissant des ennemis devenus amis Buffalo Bill et Sitting Bull ou encore une plaque de ce même Abraham Lincoln imberbe à l’âge de 37 ans. Un cliché franchement suprenant aussi: un vendeur égyptien somnolant à côté de ses momies en 1875.

Juin 1944. Le soldat Ware applique un camouflage de dernière minute au soldat Plaudo.
Base aéronavale d’Exeter, Devon Royaume-Uni.
© Archives nationales américaines/Glénat

A chaque fois, la précision du travail de colorisation emporte l’adhésion. Les détails et textures sont bien là et le rendu des couleurs sonne véritablement juste, fruit d’une recherche qui fut parfois très longue et d’une collecte d’informations scrupuleusement vérifiées. Le gage de la réussite est alors que les couleurs ne nous interpellent plus: nous ne sommes pas devant un théâtre des illusions mais simplement devant la vie dans tout son réalisme. L’équilibre entre images et textes est lui aussi judicieux, qui sépare la description et les explications historiques des indications sur la façon de faire pour chaque image.

De même qu’il nous est donné aujourd’hui de visionner de merveilleux petits films montrant une réalité colorée des grandes villes sans l’allure saccadée jusqu’ici associée à la Belle Epoque, ces images minutieusement restaurées et colorisées ravissent et font reculer les limites du voyage dans le temps.  

(*) Quand le passé reprend vie en couleurs. Photographies colorisées du monde de 1839 à 1949. Wolfgang Wild et Jordan J. Lloyd. Editions Glénat. Collection Histoire. 25,1 x 28,7 cm, 240 pages, 39,95 €.

La photo de nature en 52 défis

© Editions Eyrolles

Bon nombre de photographes amateurs ont recours, pour exercer leur créativité ou simplement se (re)motiver à faire des images, au procédé qui consiste à relever chaque semaine un défi. Des groupes se constituent ainsi sur internet, faisant office d’auxiliaires pour sortir de sa zone de confort ou trouver l’inspiration quand elle vient à manquer.

Les Editions Eyrolles ont déjà publié plusieurs livres dans cette veine, qu’ils couvrent un large éventail de thèmes ou qu’ils soient destinés plus spécifiquement aux adeptes de la street photography, d’Instagram ou encore d’une photographie plus expérimentale.

Un nouvel ouvrage à petit prix vient de sortir de presse, qui s’adresse aux amoureux de nature et de la vie sauvage (*). Ce livre se veut « un atelier photographique par écrit » et pourra vous guider, quel que soit votre niveau d’expérience.

Chaque défi est succinctement présenté sur deux pages illustrées avec de courts paragraphes de conseils et suggestions pour une pratique avisée de la photographie naturaliste. Les projets se déclinent, en passant de son propre jardin et des habitats parfois insoupçonnés qu’il peut contenir aux tuyaux pour construire un affût basique permettant de se fondre dans la nature. On aborde la manière d’approcher les habitants du fond des bois ou les créatures nocturnes comme la façon d’injecter une touche de mystère dans les photos de brume ou de saisir des silhouettes spectaculaires. Comment observer les animaux dans les conditions de leur milieu, saisir des gros plans et peut-être faire oeuvre utile en sensibilisant aux enjeux de l’environnement.

Nul besoin, bien sûr, de suivre tous ces défis dans l’ordre ni de s’assigner pendant toute une année une tâche rigoureusement hebdomadaire. Le principe du livre est d’y puiser une idée ou une technique selon les situations, les sujets et les envies du moment; ceci permettra d’ailleurs de se départir du calendrier suivi par les groupes mentionnés plus haut. L’ouvrage contient des espaces libres pour y consigner des observations, des succès ou des échecs. Un tableau de bord qui deviendra peut-être un journal photographique. Et qui débouchera sur la véritable finalité du photographe, un dernier défi et non le moindre: montrer son travail!

(*) 52 défis. Photo de nature. Ross Hoddinott et Ben Hall. Adapté de l’anglais par Franck Mée. Editions Eyrolles. 128 pages, broché. 12,90 €.

De Montréal à Okinawa, un carnet de voyage en mots et en images

© Les Impressions Nouvelles

Elle est autrice, scénariste et vidéaste; il est photographe, explorateur dans l’âme et il aime les défis. Ils sont jeunes, forment un couple et ils ont pour eux deux un projet. Ils décident, en septembre 2019, de s’offrir une parenthèse dans leur vie quotidienne. Alors ils font leurs bagages et quittent la région parisienne pour un périple de plus de 36,000 kilomètres. Ils emportent seulement deux gros sacs à dos de voyage et deux sacs plus légers pour le matériel informatique et photographique. En 36 étapes, Samantha Bailly et Antoine Fesson vont parcourir trois pays, le Canada, les Etats-Unis et le Japon, engrangeant des souvenirs inoubliables. Comment pourraient-ils soupçonner que peu après leur retour en Europe une épouvantable pandémie rendra bientôt ce genre de voyage impossible pendant longtemps? Samantha et Antoine avaient heureusement tenu un carnet de voyage en mots et en images. Leur journal de bord vient de paraître aux Impressions Nouvelles (*).

Ce voyage, ils l’ont préparé depuis des mois avec l’envie de découvrir à l’étape des lieux « inspirants et originaux », de passer les nuits dans une maison minuscule nichée en pleine forêt, dans une yourte ou dans une chambre chez l’habitant mais à l’écart des circuits touristiques. Les étapes sont donc fixes mais le reste est fait de libertés et d’ouvertures en s’autorisant des surprises selon les impulsions du moment. Samatha raconte et consigne leurs impressions tandis qu’Antoine « chasse les lumières », son Olympus en main. Elle note — ce n’est pas nous qui la contredirons– que « la photographie, c’est une histoire de patience, de bon moment et de poésie dans le regard ».

© Antoine Fesson. Les Impressions Nouvelles

L’aventure se présente comme une suite de constellations. La première, le Canada, est celle de l’euphorie des débuts et de la soif de la découverte. Après l’arrivée à Montréal, transition parfaite, de grands espaces s’offrent aux deux amoureux mais aussi des petits coins de paradis insoupçonnés avant ou après la traversée d’un parc naturel où les animaux sont en liberté et où les humains sont en cage. La deuxième constellation, la côte est des Etats-Unis, va de pair avec un retour aux réalités que les voyageurs ont laissées derrière eux. Il faut (re)composer avec la vie en milieu urbain mais aussi avec les soucis comme ce vol d’une batterie qui empêche le photographe de fixer leurs souvenirs pendant quelque temps. Vient ensuite un périple sur la côte Ouest et l’expérience de la vie nomade en van, nouvelle succession d’émerveillements devant la nature, les beautés grandioses et brutes des canyons et des parcs nationaux. Même les aléas du voyage (un van bien ensablé) sont des occasions de rencontres et de leçons de vie.

La conquète du Half Dome, Yosemite, Californie. © Samantha Bailly-Antoine Fesson. Les Impressions Nouvelles

Au Japon, quatrième et dernière constellation, le couple passe par Tokyo et Kyoto mais reste décidément en dehors des sentiers battus comme pour ce séjour chez un moine très étrange dont les enseignements se révêlent grâce à l’observation et aux gestes plutôt qu’à travers son langage difficile à appréhender. Au Japon, où la politesse est un art de vivre, les repères ne fonctionnent pas de la même façon. Il y a des loisirs dans lesquels l’individu se perd — pas vraiment certain que le jeu vidéo soit « sans aucun doute », comme on le lit ici, « le bien culturel qui a connu le plus grand essor au XXè siècle ». Mais le plus important se révèle: cette quatrième et dernière constellation apprend aux jeunes gens à porter une autre attention à leur monde intérieur et aux rapports aux autres avant de franchir un pas décisif dans leur vie de couple.

Un joli jeu de miroir sur une plage japonaise. © Antoine Fesson. Les Impressions Nouvelles

Comme l’explique Samantha, l’expérience du grand voyage et celle de la confection du livre pendant le confinement ont procuré aux auteurs un même sentiment de se trouver dans un espace-temps sans repère ni chronologie, comme disloqué. Dans les deux cas, ils y ont gagné quelque chose et le voyage a permis de renverser quelques perspectives sur ce qui fait ou devrait faire l’essentiel d’une vie. Sans être parfait (nous avons noté pas mal de coquilles), ce récit en texte et en images touche par sa sincérité.

(*) Parenthèse. Carnet de voyage de Montréal à Okinawa. Samantha Bailly & Antoine Fesson. 288 pages, format 17×24, broché. 28€. En librairie.