Un an sur Instagram avec Jean-Marie Périer et Patti Smith

Je n’ai toujours pas créé mon compte Instagram. Ce choix peut surprendre dans le chef d’un photographe amateur se voulant un tout petit peu « averti » et ouvert aux échanges avec celles et ceux qui partagent sa passion. Pourquoi se priver de l’application la plus prisée des photographes et ne pas faire partie d’une communauté qui compterait deux milliards d’utilisateurs par mois dans le monde? (*).

Sans répéter ou discuter les critiques bien connues à l’égard d’Instagram, j’invoquerai simplement mon souci de maintenir une certaine réserve à l’égard des réseaux dit sociaux, un désir de garder mes distances à l’égard des messageries tendant à l’exhibitionnisme comme au formatage du regard.

C’est pourtant ce service de partage de photos qui a donné naissance à deux livres récents m’incitant à nuancer mon propos et à trouver des mérites à l’application quand elle est utilisée d’une certaine façon. Ces livres sont signés par deux utilisateurs d’un âge déjà avancé et qui n’ont pas attendu Instagram pour diffuser leurs images. S’ils doivent probablement à leur notoriété d’avoir fait paraître un ouvrage puisant sa matière dans leur compte, ils ont aussi en commun d’associer l’écrit à l’image.

                                             

© Calmann-Lévy

Le doyen de ces deux utilisateurs, Jean-Marie Périer, s’est fait connaître dans les années 1960 en photographiant pour le mensuel Salut les Copains les chanteuses et chanteurs de l’époque, celles et ceux qu’on désignait comme la vague yé-yé. Il s’est plus tard tourné vers le cinéma et a vécu plusieurs vies en visitant de nombreux pays.

Jean-Marie Périer n’a jamais cherché à être « reconnu » comme photographe. Ce n’est que tout à la fin du 20è siècle qu’il sera invité par les Rencontres d’Arles et qu’il publiera un premier livre de ses photographies. C’est grâce à Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, que ses images autrefois destinées à s’afficher sur les murs des jeunes adolescents firent l’objet d’une exposition suscitant un doux parfum de nostalgie. 

Ces photos des années ’60, celles de ces idoles dont certains sont restés ses amis, Jean-Marie Périer les faisait dans une complicité joyeuse. Tout le contraire, dit-il, des séances d’aujourd’hui dans lesquelles les prises de vues sont contrôlées en fonction de l’image du modèle, alors que les modèles de JMP… ignoraient même qu’ils avaient une image.

Sur Instagram comme dans « Déjà hier » (**), Jean-Marie Périer délivre en quelques paragraphes souvent joliment troussés une petite histoire ou une anecdote. Il esquisse un portrait, évoque un souvenir, convie ses humeurs. Il partage sous une image une réflexion qui s’y rapporte …ou n’a rien à voir. On ne retrouve pas seulement Johnny et Sylvie, Jacques Dutronc et Françoise Hardy, mais aussi les Beatles ou les Rolling Stones au sommet de leur gloire et pourtant toujours disponibles pour lui.

JMP replonge aussi dans son enfance, rend hommage à ses parents, raconte son père, le vrai, l’acteur et homme de théâtre François Périer, qui remplit pleinement son rôle. On cherchera en vain dans ce livre mention du père biologique, Henri Salvador, autre chanteur talentueux s’il en est, mais on croisera Françoise Sagan et Patrick Modiano, Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, Brigitte Bardot et Federico Fellini.

Jean-Marie Périer © Calmann-Lévy

Ces chroniques sont empreintes de la grâce avec laquelle JMP a traversé les années et les décennies avant de finir aujourd’hui sa vie dans l’Aveyron avec sa chienne et ses deux ânesses. Tout est dit sans mièvrerie ni vulgarité, avec une pudeur et une gentillesse qui caractérisent l’homme. Son regard amusé et son élégance ne connaissent pas les rides. Cela doit tenir au fait que Jean-Marie Périer n’aura jamais été, de son propre aveu, qu’un amateur dans toutes les pratiques auxquelles il a touché, sans jamais être obsédé par la réussite.

Effleurer ainsi les choses ne mène peut-être pas à l’excellence mais cela aura fait une belle vie à un photographe devenu auteur (car c’en est un), qui revisite ses archives et nous parle de ce qui l’a touché jusqu’à aujourd’hui. En s’avouant conscient que ne resteront sans doute de son travail que quatre ou cinq photos peut-être, Jean-Marie Périer n’a pas tort d’ajouter, que « pour un photographe, c’est déjà beaucoup ».

La deuxième utilisatrice d’Instagram, Patti Smith, chanteuse américaine souvent présentée comme la papesse du mouvement punk, est bien plus que cela. Poète, écrivaine et photographe, elle a publié plusieurs livres, dont « Just Kids », le récit salué par la critique de sa relation avec le photographe Robert Mapplethorpe dont elle fut la muse dans le New York de la fin des années 1960, avant qu’il se fasse un nom dans le milieu. Ce livre, fruit du serment d’écrire leur histoire qu’elle fit à Mapplethorpe sur son lit de mort, lui valut en 2010 le US National Book Award.

© Bloomsbury Publishing

En 2018, Patti Smith entreprit de poster ses images commentées sur un compte Instagram. Disponible en anglais mais en attente de traduction à l’heure où j’écris, “A Book Of Days”(***) rassemble, à raison d’un partage pour chaque jour de l’année, des photos vintage ou des Polaroids puisés dans les archives de Patti Smith, entremêlés aux photos récentes prises avec son téléphone portable.

Dans l’introduction, la chanteuse-écrivaine explique qu’elle a ouvert son compte à l’incitation de sa fille, laquelle avait vu juste en pensant que l’application conviendrait parfaitement à sa mère qui écrit et fait des images au quotidien. Le compte permettait de se distinguer des faussaires se réclamant de Patti sur les réseaux. Il est devenu un carnet de notes, une collection de petites offrandes, nées en grande partie pendant la pandémie. Instagram, explique Patti Smith, est un outil pour partager ses découvertes, les anciennes comme les nouvelles.

Si la couverture du livre la présente avec son vieil appareil Polaroid 250, elle apprécie aujourd’hui la flexibilité du smartphone. Son esthétique personnelle est restée la même, qui garantit la cohérence de l’ouvrage entre images du passé et photos des dernières années. Car Patti Smith, née à Chicago en 1946, rock-star depuis l’album Horses (1975) suivi en 1978 du fameux hymne Because the Night, co-écrit avec Bruce Springsteen, n’a pas vraiment changé. Elle parcourt toujours le monde en chantant People Have The Power (1988). La prose a pris le pas sur la poésie mais Patti reste une artiste au travail, s’appliquant à elle-même son conseil aux écrivains en herbe : « L’esprit est un muscle, il faut l’entretenir, comme un athlète doit s’entretenir pour développer ses capacités » (Interview-rencontre avec la FNAC, 2017).

Cairo © Patti Smith, Bloomsbury Publishing

En quelques lignes seulement, Patti Smith parle donc de ce qui la touche, plonge dans ses souvenirs ou partage son penchant pour les poètes, français et autres. A New York ou ailleurs, elle transcrit ses fidélités et ses émotions. Ce livre des jours est une immersion dans son univers. On y trouve des photos de Cairo, son chat abyssin, de son café du matin, de ses lectures, ou encore de ses vieilles bottes ou de ses objets familiers. Comme Jean-Marie Périer, elle évoque ses amis et ses proches, souvent disparus bien trop tôt car la dame a traversé des épreuves et perdu des êtres chers, qui reviennent dans ses chroniques.

Au fil des jours et des pages surgissent aussi les photos prises lors des tournées, dans une chambre d’hôtel ou sur un quai de gare, comme à Bruxelles. Patti choisit régulièrement la date-anniversaire de ses héros et de ses héroïnes pour dire en quelques mots toute la place qu’ils ou elles occupent dans sa vie et son coeur. Elle rend compte de ses visites, nombreuses, sur les tombes de ses écrivains favoris — Arthur Rimbaud, William Blake, Albert Camus, Sylvia Plath. Car la dévotion, titre d’un de ses livres (Devotion) est un trait essentiel de sa personnalité et sous-tend son œuvre littéraire autant qu’elle nourrit ses heures. Jean-Marie Périer, lui, confesse une propension à admirer qu’il oppose au dénigrement et au sarcasme complaisamment répandus sur internet.

Chez Jean-Marie Périer comme chez Patti Smith, l’usage d’Instagram est honnête et convaincant. Le Français marqué par la culture et le mode de vie américain comme l’Américaine amoureuse de la France et de Paris sont deux êtres attachants, pour qui la pudeur et la gentillesse sont une manière de vivre et un moyen de communiquer.

En révélant sobrement mais avec des mots justes ce qui les pousse et continue de les inspirer, Jean-Marie Périer comme Patti Smith nous donnent à comprendre qui ils sont en saluant celles et ceux qui les ont inspirés. L’un comme l’autre utilise Instagram pour dire du bien des autres et non pas de lui ou d’elle-même. C’est ce qui les rapproche et me les rend proches. Et je me prends à penser que ces deux-là ne sont jamais autant eux-mêmes qu’en parlant des autres.

Du bon usage d’Instagram en somme.

(*)       Selon des chiffres parus dans la presse en octobre 2022.

(**)      Déjà hier. Une année sur Instagram. Jean-Marie Périer. Préface de Patrick Modiano. Calmann-Lévy, 2021, 19€.

(***)    A Book Of Days. Patti Smith. Bloomsbury, 2022, 26,50 €.

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1960-1970 Jean-Marie Périer : une nostalgie photographique

© Editions Privat

« Tout ce que je te demande, c’est que tes photos déplaisent aux parents ! ». Quand Daniel Filipacchi propose en 1962 à Jean-Marie Périer de partager l’aventure du magazine Salut les copains, le jeune photographe a tout juste 23 ans. L’âge de ses modèles, ces chanteurs et chanteuses de la génération yéyé, animés pour beaucoup par le rêve américain. De cette idée et avec la complicité de ses modèles dont il fut souvent proche, Jean-Marie Périer tira des photos qui n’étaient comme il le dit lui-même « que du spectacle sur papier pour distraire les jeunes et les faire rêver un peu ».

En revisitant ses archives, Jean-Marie Périer a extrait près de 400 clichés dont 150 photos inédites pour composer le premier livre de la marque d’édition qu’il met sur pied à l’approche de ses 80 ans. Complétées des souvenirs du photographe, qui raconte leur histoire et celle de ses rencontres avec les îcones en question, ces images forment un kaléidoscope qu’il est doux de feuilleter pour raviver la mémoire. Elles nous apportent aussi, par delà leur fraîcheur, quelques indications sur l’esprit de leur temps.

Françoise Hardy et Salvador Dali, octobre 1968. Photo prise à Cadaquès, Espagne.
© Jean-Marie Périer. Editions Loin de Paris/ Privat

Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Jacques Dutronc, Françoise Hardy ou encore les Beatles, les Rolling Stones, Bob Dylan et Marianne Faithfull posent devant l’objectif de Jean-Marie Périer dans tous les accoutrements et toutes les situations. Les modèles ne craignaient ni le ridicule ni le clin d’oeil fortement appuyé. Ils ne refusaient rien au photographe et jamais n’exigeaient de voir une photo avant sa publication. Les obsédés du temps et du contrôle qui les ont remplacé(e)s comme ceux qui sont venus se greffer dans le milieu pourraient s’inspirer d’une telle modestie ou d’un tel sens de l’humour.

Les Beatles à Paris, 1965. © Jean-Marie Périer.Editions Loin de Paris / Privat

En couleur presque toujours, en grand ou en petit format, les images de Jean-Marie Périer ne montrent pratiquement jamais ou si peu (comme ci-dessous en concert) la réalité ou le moment présent. De ses modèles et amis, l’auteur comprend qu’« ils étaient en confiance justement parce que je ne traquais pas leur réalité ». Si ses photographies sont mises en scène et ne prétendent aucunement tenir lieu de documents, elles portent aussi témoignage aujourd’hui d’une insouciance et d’une audace qui s’exprimaient sans guère de retenue.

Keith Richards lors d’un concert de l’American Tour des Rolling Stones, 1972.
© Jean-Marie Périer. Editions Loin de Paris/Privat

Même un prix Nobel de littérature peut tomber sous le charme: « Ces grandes filles toutes simples ne savaient pas qu’elles étaient les années 1960 », écrit Patriclk Modiano dans sa préface. « Elles se contentaient, en toute innocence, d’être des instants, et pour elles le passé ou l’avenir n’existaient pas. Le temps s’était arrêté. Il suffisait de vivre un présent éternel. Ou, plus exactement, de le rêver. Et c’est bien le rêve de ces années-là que Jean-Marie a fixé sur la pellicule ».

En fin de compte, mes photos ne représentent pas les années 1960, mais seulement les rêves des adolescents de l’époque.

Jean-Marie Périer
Mick Jagger au studio Carnot, Paris, 1971 . © Jean-Marie Périer. Editions Loin de Paris/Privat

Conscient que son approche, qu’il qualifie volontiers de dilettante, n’a pas fait de lui le plus grand photographe du monde, Jean-Marie Périer avoue regretter ce temps où il gagnait sa vie avec désinvolture et où ses commanditaires n’attendaient surtout pas de lui qu’il soit sérieux. A l’heure où la fête est finie, il nous laisse, et beaucoup sans doute lui en seront reconnaisssants, un parfum de nostalgie et des images empreintes d’une légèreté réjouissante. Comme des lambeaux de jeunesse qui ne veulent décidément pas nous quitter.

1960-1970 Jean-Marie Périer. Texte et photo de Jean-Marie Périer. Préface de Patrick Modiano. Editions Loin de Paris/Privat, 416 pages. Cartonné sous jaquette. 39,90 €

ECM 50 : l’image au service du son

Un album du trio de Keith Jarrett. Enregistré en 2009, sorti en 2013
Un visuel typique de la marque
© ECM Records
Le Köln Concert de Keith Jarrett. 1975. © ECM Records

« Le plus beau son après le silence. The Most Beautiful Sound Next to Silence ». La formule d’un journaliste canadien fut très vite adoptée pour qualifier la production phonographique du label munichois ECM (Editions of Contemporary Music). Au-delà d’une empreinte sonore caractéristique, l’identité visuelle d’ECM (les pochettes de disques, en ce compris le choix des photographies) fit dès le début partie intégrante du projet. Cet apport de l’image était opportunément souligné lors d’un Festival de concerts d’artistes ECM et de conférences, organisé récemment à Bruxelles pour célébrer les 50 ans de la marque.

Le mur des pochettes ECM à Flagey. Bruxelles, Novembre 2019
Photo RD

Créée en 1969 avec le musicien (contrebassiste) et producteur Manfred Eicher comme cheville ouvrière, ECM est synonyme d’une esthétique musicale donnant au son une ampleur profonde, avec une utilisation abondante, parfois perçue comme excessive, de l’écho et de la réverbération. Le jazz — souvent européen et peu porté vers le swing — est le domaine premier de la firme. Des musiciens comme Keith Jarrett, Pat Metheny ou Chick Corea ont eux aussi enregistré chez ECM des disques qui ont marqué l’histoire du jazz. Le fameux Köln Concert de Jarrett (1975), totalement improvisé et brouillant les frontières entre genres musicaux, garantira pour longtemps la stabilité financière de l’écurie. D’autres séries ECM donnent depuis longtemps à entendre de la musique classique ou contemporaine (Arvo Pärt) et de la world music. A chacun de trouver ce qui lui parle.

New Chautauqua du guitariste Pat Metheny, 1979.
L’image, le son et l’espace
©ECM Records

Quel que soit le type de musique, le soin apporté à l’emballage du produit va toujours de pair chez ECM avec la qualité d’enregistrement. S’il ne fut pas le premier ni le seul à rompre avec la traditionnelle pochette affichant la photo de l’interprète — songeons aux albums de Blue Note dans le jazz ou à de grands disques de l’histoire du rock, ceux de Pink Floyd ou de Bowie notamment — Manfred Eicher a dès le début conçu ses albums non seulement comme de la musique enregistrée mais aussi comme un objet à regarder.

La graphiste Barbara Wojirsch ainsi que des photographes et artistes tels Roberto Masotti et Dieter Rehm ont oeuvré à la conception de pochettes évocatrices du contenu. L’exposition bruxelloise au bâtiment Flagey permettait de réaliser à quel point ces images, souvent floues, de grands espaces ou d’ambiances mystérieuses font écho au son gravé pour un catalogue qui avoisine aujourd’hui les 1500 numéros. Chargées d’une atmosphère souvent éthérée ou mystérieuse, illustrant des paysages ou des lieux souvent déserts, les pochettes ECM apparaissent comme la traduction ou la représentation du son. Le cover art est partie intégrante du produit et sert de porte d’entrée dans la musique. Il est là non pas pour faire illusion mais fonctionne comme une allusion ou comme une métaphore: la pochette oriente l’amateur vers la musique, lui donne des pistes pour l’écoute et la rêverie.

Un des albums de Jan Garbarek avec le Hilliard Ensemble. Alliance audacieuse entre un saxophoniste norvégien et un ensemble vocal britannique. 2010
© ECM Records

La majorité des photographies sont en noir et blanc et nombre d’entre elles tendent vers le minimalisme. Les paysages évoquent fréquemment les pays nordiques. Le fondateur et producteur Manfred Eicher privilégie de son propre aveu les ambiances de ce type (de nombreux musiciens ECM sont d’ailleurs originaires de Scandinavie). Plus de variété apparaît toutefois au fil du temps dans l’iconographie mais la tonalité reste généralement austère et énigmatique. Les rares photographies d’artistes sont presque systématiquement renvoyées au dos de la pochette. Le légendaire saxophoniste américain Charles Lloyd fait figure d’exception.

Souvent copiée ou dénaturée dans la fadeur de la musique d’ambiance (ambient music), l’esthétique ECM doit s’apprécier dans sa totalité. Elle retrouve une dimension à sa mesure avec le renouveau du disque et des pochettes vinyl. En s’appuyant comme à ses débuts sur les dispositions d’un public avide de climats où la beauté, même austère, surgit de l’expérimentation et en continuant de jeter des ponts entre les disciplines artistiques, le label ne fait pas son âge.

Article écrit en réécoutant quelques-uns des plus beaux morceaux du Marcin Wasilewski Trio, un des fleurons de la marque ECM en jazz contemporain.

Le Vannes Photos Festival donne à voir la musique

La ville de Vannes (Morbihan) accueille pour quelques jours encore une série d’expositions photographiques, en plein air et en salle, consacrées à la musique. Des photos de concert aux portraits de musiciens, du classique au rap en passant par le jazz, le rock, le metal, le traditionnel et la chanson, tous les genres sont représentés.

Formidable découverte sur le port avec Nikolaj Lund. Ce photographe danois, qui fut concertiste au violoncelle pendant 20 ans, enchante l’Esplanade Simone Veil avec ses mises en scène insolites et audacieuses de musiciens classiques et de leurs instruments. Surréalistes et amusantes, décodant et sublimant la relation entre l’artiste et l’outil, les images en couleurs surprennent à tous les coups par leur originalité et leur sensibilité. Lund recrée littéralement la musique ou plutôt l’interprétation. Les idées et le savoir-faire du photographe paraissent sans limites à travers une série qui s’intitule à bon droit Everybody Loves Classical Music. Toujours sur l’Esplanade, la même unanimité ne s’appliquera pas forcément aux disciples du rap et de la danse hip hop, en concert ou dans leur environnement dépassant le cadre de la musique.

© Nikolaj Lund. Everybody Loves Classical Music
Miles Davis ©Richard Dumas. Courtesy Polka Galerie

Un peu plus loin, le Kiosque abrite Richard Dumas, portraitiste des stars. Bashung et Etienne Daho, dont Dumas fut autrefois le premier guitariste. Keith Richards est dissimulé derrière un nuage de fumée et un Miles Davis au regard troublant nous fixe dans un portrait fort contrasté. Et puis une série qui détonne avec le thème des expos mais qui a, il est vrai, valeur de témoignage : des images très sombres, comme empreintes de suie, des débris du Parlement de Bretagne, photographiés en voisin par le Rennais le matin suivant l’incendie qui ravagea le palais classé, il y a quelque 25 ans.

Bob Dylan. Get Born. 1965. ©Tony Frank

Au Château de l’Hermine, une sélection de clichés présente des noms connus de la chanson, du rock ou du jazz, saisis en concert, en coulisses ou dans un à-côté parfois spontané et pas toujours très net mais qu’importe. Des images de Guy Le Querrec et de Claude Gassian, véritables spécialistes du genre musical en photographie. Miles encore et Louis Armstrong; Edith Piaf et Barbara; la fameuse rencontre de Brassens, Brel et Ferré. Des perles issues de l’iconographie de Salut les Copains (Tony Frank, Jean-Pierre Leloir). On croise Johnny, Polnareff et France Gall, des gloires du rock (Jim Morrison, Led Zeppelin, Chuck Berry, les Clash). Plus loin, en extérieur, Mathieu Ezan saisit avec des images très maîtrisées des attitudes en concert (les Arctic Monkeys) quand il ne fait pas poser les musiciens, laissant percevoir à chaque fois sa bonne connaissance du sujet comme ses liens avec le sujet.

Wynton Marsalis, 2011, NYC. ©Philippe Lévy-Stab

On s’attache tout particulièrement, dans le magnifique Hôtel de Limur, aux images de Philippe Lévy-Stab, photographe du jazz, avec une magnifique série de portraits en argentique. Les musiciens mal ou beaucoup mieux connus (Wynton Marsalis, Hank Jones, Roy Hargrove) sont photographiés au cœur de la nuit dans toute leur vérité, à New York le plus souvent. Ces portraits aux noirs profonds évoquent fort justement la musique des clubs, jouant avec les règles du genre mais sans rompre avec elles. Ils voisinent heureusement avec des scènes de rue new-yorkaises dont les vibrations font écho à la musique.

Le charmant jardin de l’Hôtel séduit ensuite davantage que l’iconographie du heavy metal qui s’y trouve exposée mais les étages valent le détour : Benjamin Deroche suscite notre intérêt avec des images très contemporaines à la belle luminosité, évocatrices de bruissements, de chuchotements, de silence aussi. En contraste, Mélanie-Jane Frey, qui fut longtemps photojournaliste, s‘est tournée vers les procédés anciens et nous offre une série au collodion humide consacrée au violoncelle (Cello). La succession des plaques, chacune étant unique, renvoie aux sons, en donnant par la grâce des surprises du révélateur comme à entendre la partition. Une vidéo accompagnant ce travail nous explique le procédé technique.

Les expositions en cœur de ville sont totalement gratuites et proches les unes des autres dans un cadre on ne peut plus agréable à la balade. Cet événement, qui a pris la relève il y a quelque temps du Festival Photo de Mer et dont la thématique varie désormais chaque année, enrichit et enrichira certainement dans les prochaines années le circuit des festivals français de photographie.

Vannes Photos Festival. Plusieurs lieux dans le centre-ville et sur le port. Du 12 avril au 12 mai. Gratuit.

Doisneau et la musique : les notes joyeuses

On connaît la richesse du patrimoine photographique qu’a laissé derrière lui « le révolté du merveilleux » : 450 000 négatifs sont archivés à l’Atelier Robert Doisneau. Ce vaste fonds permet l’organisation régulière d’expositions comme l’édition de nouveaux ouvrages thématiques rassemblant quantités d’images souvent inédites ou peu connues. Un recueil de photographies tournant autour de la musique vient de sortir de presse chez Flammarion (*). Il contient des images typiques de l’univers du photographe mais aussi quelques surprises qui ne dénotent pas dans sa partition.

Doisneau et la musique © Editions Flammarion

Le parcours de Doisneau fut depuis ses débuts ponctué de sympathiques rencontres avec des musiciens. Dans ses pérégrinations parisiennes, le photographe croise dès la fin des années 1940 des chanteurs des rues, des joueurs d’accordéon ou les fanfares d’un temps où la musique était partout. Les bals populaires, les artistes de cabaret, les musiciens de jazz dans les caves de Saint-Germain-des-Prés seront autant de sujets de reportages ou d’images saisies pour les journaux comme au hasard des rencontres.

On reconnaît en avançant dans le temps des vedettes alors naissantes (Juliette Gréco, Georges Brassens, Barbara) ou déjà confirmées (Montand, Aznavour). Doisneau allait partout, jusque dans les studios d’enregistrement et dans le monde des compositeurs ou des répétitions de musique dite classique et contemporaine (Boulez, Messiaen, Dutilleux).  C’est pourtant la chanson qu’il préféra jusqu’à la fin de sa vie, photographiant et se liant même d’amitié avec les chanteurs des années 80/90 à la faveur d’une séance de commande ou la réalisation d’une pochette de disque. C’est ainsi qu’il photographie Renaud (avec ce titi parisien, le courant doit passer sans peine) ou encore — plus étonnant, vu le « look » et l’âge avancé du photographe — les Rita Mitsouko et les Négresses vertes. De même pour Jacques Higelin, Thomas Fersen ou David McNeil, qui écrira une chanson inspirée par « Les photos de Doisneau ».

On reconnaît en avançant dans le temps des vedettes alors naissantes (Juliette Gréco, Georges Brassens, Barbara) ou déjà confirmées (Montand, Aznavour). Doisneau allait partout, jusque dans les studios d’enregistrement et dans le monde des compositeurs ou des répétitions de musique dite classique et contemporaine (Boulez, Messiaen, Dutilleux).  C’est pourtant la chanson qu’il préféra jusqu’à la fin de sa vie, photographiant et se liant même d’amitié avec les chanteurs des années 80/90 à la faveur d’une séance de commande ou la réalisation d’une pochette de disque. C’est ainsi qu’il photographie Renaud (avec ce titi parisien, le courant doit passer sans peine) ou encore — plus étonnant, vu le « look » et l’âge avancé du photographe — les Rita Mitsouko et les Négresses vertes. De même pour Jacques Higelin, Thomas Fersen ou David McNeil, qui écrira une chanson inspirée par « Les photos de Doisneau » Doisneau ». On s’amuse aussi devant la redécouverte d’une délicieuse série pétrie d’humour, conçue avec l’ami violoncelliste Maurice Baquet. Un album devenu aujourd’hui pièce de collection, Ballade pour violoncelle et chambre noire, sera finalement publié en 1981, près de trente ans après les premières facéties du duo. On retrouve ici Le violoncelle sous la pluie ou Le marin et la bouteille mais les deux amis ont d’autres perles à leur tableau.

La musique a « rythmé son travail » tout au long de sa vie, constate Clémentine Deroudille, petite-fille de Doisneau, dans le texte qui ouvre ce « Doisneau et la musique », un livre qui fait aussi office de catalogue d’exposition. De l’artisan jusqu’au maître en photographie devenu célèbre, Doisneau ne change en rien, gardant son naturel tout autant que ses modèles. La bonhomie et la connivence restent la marque de ses images. La marque d’un homme qui photographiait sans cesse en s’amusant, d’un photographe qui travaillait sérieusement mais sans jamais se prendre au sérieux.

Doisneau et la musique. Clémentine Deroudille. Editions Flammarion. Catalogue de l’exposition à la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, du mardi 4 décembre 2018 au 28 avril 2019.