Ce blog a plus de trois ans déjà. Il est temps, je pense, pour moi comme pour ceux qui m’ont fait l’amitié de me lire, d’éviter de tomber dans une certaine lassitude.
C’est dire que je sens le moment venu de changer la formule pour ne pas me complaire dans les redites, ne pas chroniquer des livres qui se ressemblent trop ou qui, s’agissant de la pratique de la photographie, reprennent inlassablement les mêmes thèmes ou les mêmes idées.
Je me dois de remercier les éditeurs qui m’ont fait confiance ces dernières années. Leur travail mérite notre intérêt mais aussi notre reconnaissance car ils n’ont pas la partie facile, tout particulièrement ces derniers temps. Les livres de photographes surtout ont trop de mal à trouver leur public. Le fait que tout le monde aujourd’hui peut se croire photographe ne contribue pas à mettre en valeur ce qui tranche avec le narcissisme ambiant.
Sachez que je garde toute ma curiosité pour la photographie artistique et que je continuerai de défendre mon l’amour des « belles images », d’une photographie qui traduit, avec les outils de cet art, une émotion, une sensation ou une perception de la réalité.
Je suis de plus en plus convaincu par ailleurs qu’il importe, pour ne pas s’y perdre et y perdre son temps, de garder la bonne distance avec les réseaux sociaux, même ceux que l’on dit indispensables — pour combien de temps du reste?
Je me propose donc de réfléchir à d’autres contenus et de me laisser porter dorénavant par d’autres envies, en me promettant de continuer d’écrire sur la photographie et sur d’autres choses comme de m’exprimer par d’autres moyens encore.
Tout cela sans oublier de faire mes propres images et de les partager sur mon site ou en galerie.
Nous nous retrouverons bientôt si vous le voulez, ici, là-bas ou ailleurs.
En cet été tout particulier d’une année toute particulière, un fabricant d’appareils auquel je suis tout particulièrement attaché a donc annoncé la vente de sa division photographie. Selon son communiqué, Olympus se sépare de sa branche “Imaging”, reprise par Japan Industrial Partners (JIP), un fonds de capital-investissement dont les intentions seront précisées dans les mois à venir.
Les raisons de cette décision, qu’elles tiennent à l’évolution du marché de l’industrie photographique ou aux spécificités d’Olympus et de sa gestion jugée parfois malheureuse, ont été abondamment commentées. L’amateur-détenteur de produits Olympus reste pour sa part dans l’expectative. La gestion de la marque et l’avenir de la ligne de production seront désormais dans d’autres mains, suspectes aux yeux de certains.
Au-delà des assurances d’usage à l’égard des consommateurs, certains signaux peuvent pourtant paraître rassurants : de nouveaux produits sont déjà annoncés. Une nomenclature bien connue — la gamme OM-D, le séduisant boîtier PEN et les objectifs M.Zuiko – est appelée à survivre, s’il faut en croire Setsuya Kataoka, le VP de la branche stratégique d’Olympus Imaging Division (interview à DPreview, 15 juillet 2020). L’accent sera vraisemblablement placé sur le haut de gamme et la valorisation des spécificités de l’héritage Olympus dont la stabilisation. Rien n’interdit de penser que de nouvelles technologies d’imagerie seront incorporées par le biais d’accords de licence avec d’autres développeurs, ce qui réduirait l’investissement propre dans la R&D.
L’hybride et la gamme OMD d’Olympus m’ont convaincu. Dois-je patienter deux ou trois ans pour y voir plus clair dans les intentions de JIP ? Ou bien dois-je, dès à présent — mon avenir de photographe sera bien plus court que mon passé — changer résolument mon fusil d’épaule ? Mais quel serait alors le sens d’un tel revirement au moment où mes vieilles épaules précisément se réjouissent de ne plus devoir systématiquement porter un matériel réflex pour une balade qui m’offrira peut-être l’occasion de saisir les paysages qui m’interpellent ? Des questions se posent certes sur l’avenir de la marque mais c’est toute l’industrie photographique qui continuera d’évoluer. Cette évolution, même inéluctable, ne fera pas de moi un autre photographe. Et bien malin celui qui peut dire aujourd’hui quel sera dans dix ans le rapport de force entre les marques ni même lesquelles de ces marques seront toujours là dans une dizaine d’années.
Je photographie depuis l’enfance et je m’étonne régulièrement de trouver dans ces photos d’enfance — celles que je dois à mon premier appareil, un Kodak Brownie Starflash – certaines attirances pour des sujets ou encore des compositions, même maladroites, qui sont encore les miennes aujourd’hui. C’est cela et non mon matériel qui a déterminé mon style de photographe, qui fonde ma pratique et qui doit dicter mes envies. Compte tenu de mes moyens financiers, qui restent limités — la photo reste et restera une passion et non un moyen d’existence, je continuerai donc d’utiliser mes appareils et mes objectifs Olympus en essayant d’en tirer le meilleur parti. Je ne vais pas me préoccuper outre mesure de ce qui est et de ce qui restera hors de mon contrôle. Je n’ouvrirai pas mon portefeuille ni des yeux béats d’admiration pour des capteurs de 80 Mpx, une prise en rafale à 20 i/s ou la vidéo en 8K. Mais j’ouvrirai les yeux dans mes balades de photographe, en espérant que parfois je les ouvrirai avec des yeux d’artiste.
Cela peut paraître prétentieux mais c’est pour cela que je photographie. Je ne m’équipe pas pour reproduire en miroir et au-delà même de ce que peut percevoir l’oeil humain ce qui se trouve devant mon objectif. Je photographie pour partager mes émotions, mon interprétation de la réalité et pour en garder le souvenir. Mon appareil m’aide à traduire ce que je ressens et c’est à moi qu’il advient de trouver, en artisan et avec les atouts de mon outil, par l’éclairage, la mise au point ou le choix des couleurs, la meilleure façon de transmettre mon ressenti.
C’est cela qui m’importe et ce n’est pas un communiqué qui doit guider mes choix. Je n’ai pas de raison de changer. Je resterai fidèle au photographe que je suis; je resterai fidèle à Olympus.
Né à Riga (Lettonie) en 1906 et mort à New York en 1979, Philippe Halsman fut une figure majeure de Magnum Photos. Il nous a laissé une formidable galerie de portraits iconiques, d’où émane une joie de vivre jubilatoire. Un album de ses photographies vient de sortir de presse, publié par Reporters Sans Frontières dans la nouvelle formule d’une collection en tous points recommandable pour les amoureux de l’image comme pour quiconque est soucieux de défendre la liberté d’informer.
Halsman, dont la biographie retracée dans l’album est émaillée de pérégrinations qui furent parfois dramatiques, révèle ses qualités de portraitiste au début des années ’30. Il travaille pour Vogue, Voilà et Vu, possède un studio à Montparnasse et saisit sur sa pellicule écrivains et artistes dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Contraint de fuir devant l’Occupation, il émigre à New York et s’adapte très vite aux codes d’un pays dont il ne connaissait pas la langue. Il est approché en 1942 par Life, qui lui confiera au total l’illustration de plus de 100 couvertures. Halsman participe ainsi à l’émergence du star system et à l’âge d’or de la presse illustrée. Son oeil tantôt malicieux et tantôt admiratif saisira pendant des dizaines d’années d’innombrables personnalités.
Ce qui distinguera Halsman de ses pairs et le fera entrer dans la légende, ce sont ses « jumpologies ». Porté vers la mise en scène de ses photographies, notre homme est un grand facétieux. A la fin d’une séance, il demande au modèle de sauter à la verticale et déclenche alors à vitesse très rapide. Dans ces instantanés suspendus éclate une merveilleuse euphorie, comme sur la couverture de cet album RSF. Soucieuse de contrôler son image, Marilyn Monroe renâclait quelque peu au début devant l’exercice proposé. Pour la convaincre, Halsman saute alors avec elle en lui tenant la main. Marilyn reprendra volontiers ce qu’on n’ose qualifier de pose pour des images qui compteront parmi les plus heureuses de son iconographie.
Bien d’autres célébrités se prêteront au jeu comme Brigitte Bardot ou Audrey Hepburn mais aussi des figures perçues comme très sérieuses tels le Duc et la Duchesse de Windsor, entendez l’ex-Roi d’Angleterre Edward VIII et son épouse Wallis Simpson, par qui le scandale arriva. Ces deux-là sauteront même en duo et en solo. Les écrivains François Mauriac et Romain Gary, d’un naturel généralement moins léger, ne sont pas en reste. Ce portfolio d’Halsman donne donc à voir toutes ces personnalités sous un jour très différent de leur image habituelle : Alfred Einstein prend des airs de chien battu (il se désole en vérité de l’utilisation de ses découvertes), le futur Président des Etats-Unis Dwight Eisenhower éclate de rire avec ses frères, et Richard Nixon, un de ses successeurs généralement portraituré les mâchoires serrées, joue ici du piano en bras de chemise et d’un air inspiré.
Une alchimie toute particulière liera pour longtemps Halsman et le peintre aux moustaches Salvador Dali qui sera pendant plus de 30 ans son partenaire amical en loufoquerie surréaliste. Une interview photographique avec l’acteur Fernandel, qui répond à chaque question par une mimique ou une grimace, donne lieu en 1948 à un livre délicieux, The Frenchman, qui se vendra à…plus de 100,000 exemplaires! Comment vendre un livre de photographe.
Halsman fera aussi en 1962 une campagne photographique pour la promotion des Oiseaux, film pour lequel il mettra lui-même en scène le réalisateur Alfred Hitchcock et son interprète Tippi Hedren. Le photographe y déploie tout son sens de l’humour et de l’inventivité en renvoyant à l’univers du maître du suspense.
Enrichi en sus du portfolio de contributions, de récits et de témoignages poignants sur les combats valeureux de RSF ainsi que de portraits écrits à l’acide de ceux que l’organisation s’emploie à dénoncer, ce 63è album à la maquette repensée mêle le rire au tragique pour un prix toujours aussi doux. Il vous fera sourire et réfléchir, vous donnera l’envie de sauter et de vous indigner. En bref: sautez dessus!
Philippe Halsman. Avant-propos de Michel Hazanavicius. Un album Reporters Sans Frontières, 9,90€.
Membre de Magnum depuis 40 ans, le grand coloriste Harry Gruyaert a trouvé dans de nombreux pays la matière de son œuvre. Son approche de la photo n’a pourtant rien de celle d’un journaliste ou d’un documentariste. Marqué par le cinéma et notamment celui de Michelangelo Antonioni, Gruyaert (né en 1941) décrit ses images comme « un mélange entre les gens, l’architecture, les paysages et la lumière ». L’Anversois bénéficie aujourd’hui d’une large reconnaissance, étayée depuis quelques années par une série d’ouvrages thématiques et une monographie.
Les éditions Textuelpublieront en ce début d’octobre sous le titre Last Call un autre livre du photographe belge, construit sur l’idée que les aéroports offrent en concentré tout ce qui fait la marque et l’identité visuelle de Gruyaert. Dans la courte préface de l’ouvrage, celui-ci nous avoue simplement sa fascination pour la « théâtralité exceptionnelle » qu’offrent ces lieux d’attente avec leurs individus de passage: « Les éléments d’architecture, le mobilier, les couleurs composent un décor où évolue, comme sur une scène, une cohorte de figurants. C’est un spectacle que je ne cherche pas à comprendre mais dont la dimension visuelle m’attire ».
Saisies de 1982 à 2018, les images souvent reproduites ici sur double page sont effectivement typiques de Gruyaert : un jeu éclatant des couleurs, une transparence et une multiplicité des plans de lecture, des personnages en suspens ou en ombres chinoises. La poésie surgit dans un cadre on ne peut plus fonctionnel et le mystère s’insère étrangement au milieu des lignes, des formes et des signes. La manière de Gruyaert est immédiatement reconnaissable pour qui est déjà familier de son style photographique. Les autres seront conquis ou intrigués par ces images, à contempler sur papier ou ailleurs… comme dans un aéroport, par exemple.
Avis aux voyageurs en effet : un choix de photos très grand format tirées de Last Call fera l’objet d’une exposition aux aéroports de Roissy et d’Orly du 15 octobre au 15 novembre 2019.
Last Call. Harry Gruyaert. Editions Textuel. 96 pages, 39 €. A paraître le 2 octobre 2019.