David Yarrow, maître en photographie naturaliste et artistique

David Yarrow, photographe britannique (écossais pour être précis) né en 1966, jouit depuis quelques années maintenant d’une grande réputation pour son travail sur le monde animal et les espèces en danger. Pas très loin d’un Nick Brandt sans doute mais oeuvrant sur un terrain géographique plus large et d’une manière plus immersive, cet ambassadeur pour Nikon apporte par son activité, également philantropique, sa contribution au mouvement conservationniste.

Une exposition David Yarrow est accessible en ce début d’année et jusqu’au 12 mars à la A. Gallerie à Paris (*).

© Editions Eyrolles

Dans le même temps, après ceux consacrés à Joël Meyerowitz et Albert Watson, un troisième livre tiré de la série « Masters of Photography » paraît chez Eyrolles (**). En 20 courtes leçons, David Yarrow y fait part de son savoir-faire et de son expérience, depuis ses débuts dans la photographie de sport. Le jeune David Yarrow saisit à 20 ans le footballeur Diego Maradona brandissant le trophée après la victoire de l’Argentine dans la Coupe du Monde de 1986. L’intérêt et le succès rencontrés par le cliché s’expliquent par l’emplacement judicieusement privilégié du photographe et par le regard du génie du ballon rond fixé sur l’objectif. Cette image restera emblématique de l’événement comme d’une époque de la photographie sportive d’avant l’auto-focus.

Auteur d’un parcours très particulier, celui qui fut ensuite banquier et même propriétaire d’un fonds d’investissement avant de se consacrer définitivement à la photographie distille dans ce condensé ses conseils de composition et de perspective comme de comportement dans les milieux naturels dangereux. Il raconte comment il se positionne ou positionne son déclencheur à distance car les modèles de Yarrow ne sont pas toujours pacifiques.

La « marque » photographique David Yarrow se décline en noir et blanc. Elle se caractérise par une netteté parfaite, valorisée au tirage confié à son complice Joe Berndt. Parmi les autres recommandations, Yarrow souligne l’importance du travail en amont de la prise de vue: « J’ai réalisé mes meilleurs clichés en quelques secondes mais j’y ai investi des heures de recherches », souligne-t-il. Mankind, son cliché de vachers pris en 2015 au Sud Soudan et qui a largement contribué à son statut actuel, doit beaucoup à cette préparation méticuleuse.

The Squad, 2019 © David Yarrow; courtesy A-Gallerie

Si le type de photographie qui a fait son succès justifie forcément de tels soucis, Yarrow se dit persuadé qu’il est essentiel d’anticiper pour réfléchir sur le type d’image que nous voulons capter et que cela se vérifie pour tout type de photographie. La recette mais surtout le talent de l’homme ont fait de lui en quelques années l’un des photographes les plus côtés et les mieux payés du monde. Ses tirages ont souvent le format d’une table de billard ou plus. Il entend en faire des objets de convoitise et assume son propos. Cela lui vaut parfois des critiques mais lui permet aussi de lever des fonds pour des associations caritatives. Un juste retour des choses pour un photographe qui reconnaît avoir beaucoup pris au monde naturel.

David photographiant des éléphants, 2016
(quatrième de couverture)
© Editions Eyrolles

L’ouvrage comprend les photographies les plus célèbres et les plus saisissantes de Yarrow, illustrant son approche qui ne consiste pas à documenter le comportement des animaux ni à faire du photoreportage. Chez Yarrow en effet, l’appareil est un outil au service du photographe et de son ressenti: « Commencez toujours par la question qu’est-ce que j’essaie de photographier, puis déroulez le processus ».

L’ambition de David Yarrow reste bien de créer des photos artistiques, des images qui se suffisent à elles-mêmes, avec leur profondeur et l’émotion qu’elles dispensent. C’est le coeur et la finalité de sa pratique. Et l’émotion dans ses images naît souvent du regard et des yeux de l’animal.

Comme pour les autres livres de cette série, les lecteurs désireux de voir le maître à l’oeuvre pourront se plonger dans les vidéos. La bande d’annonce de la Master Class de David Yarrow, disponible en français chez Maitres photographes, est ici.

(*) David Yarrow. A. Gallerie. 4 Rue Léonce Reynaud, 75116 Paris. Ouvert du lundi au vendredi 10>13 & 15>19; samedi 12>19.

(**) David Yarrow, Une vision de la photographie. Editions Eyrolles, collection Masters of Photography. Broché, 128 pages, format 14,5 x 20; 15,90 €.

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Mirkine par Mirkine : une pluie d’étoiles sur un plateau

Il est rare que les photographes de plateau, ces habitués de l’ombre, soient à ce point mis en lumière. Un ouvrage-compilation, édité chez Flammarion (*), constitue un vibrant hommage à un duo exceptionnel en même temps qu’il illustre un bon demi-siècle de cinéma. Stéphane Mirkine nous y entraîne à la découverte de son grand-père Léo et de son père Yves (« Siki ») à travers leur travail de photographes sur près de 200 films, des années 1930 à 1980.

© Léo Mirkine/Coll.Mirkine
Editions Flammarion

C’est à une plongée dans les archives des Mirkine père et fils que nous sommes donc conviés. Stéphane Mirkine raconte leur parcours hors normes et partage 500 clichés longtemps réservés aux vitrines, aux collectionneurs et au milieu du cinéma : des images de tournage, des regards dans les coulisses, des portraits de vedettes sortis de la chambre noire: toute la magie du 7è art avec ses regards, ses atmosphères et ses émotions. Des clichés qui se devaient d’être accrocheurs car ce sont eux, comme s’en souviennent les plus âgés, qui devaient donner l’envie d’entrer voir le film à l’affiche.

Cette histoire commence dans la Russie natale de Léo Mirkine, à Kiev et Odessa (port russe aujourd’hui en Ukraine), quand un enfant fuit la guerre sur un chariot avant d’embarquer avec sa famille et de rejoindre les réfugiés russes sur la Riviera. Quelques années plus tard c’est le passage par Paris où Léo vadrouille muni d’un appareil photo. S’en suivent des allers et retours entre la capitale et Nice, un foyer qui se crée et les débuts, en 1930, d’une carrière de photographe de plateau. En quelques années, Léo Mirkine va participer aux tournages de 35 films. Sa maîtrise technique, la perfection de ses cadrages et sa virtuosité pour jouer des contrastes et de la lumière impressionnent d’emblée. Le jeune homme est très vite en phase avec la vision d’un réalisateur.

Dans les années 1930, Léo est sollicité par de grands metteurs en scène qui deviennent ses amis: Abel Gance, Claude Autant-Lara, Julien Duvivier, Jean Renoir. Il se fait un nom dans le milieu et ses clichés assurent la promotion des films dans les revues spécialisées que sont Ciné pour tous, Ciné miroir et Cinémonde. Léo restitue les personnages, tend leur portrait aux vedettes et saisit une présence avec une étonnante maturité. Mistinguett, Fernandel, Eric Von Stroheim, Michel Simon, Louis Jouvet et Pierre Brasseur ne sont que quelques-uns de ses modèles. A la différence peut-être du Studio Harcourt où c’est le procédé qui prime et fait la marque du portrait, les vedettes ici semblent se prêter à un jeu ou se composer un masque en complicité avec le photographe.

Revient la guerre, vécue à Nice, où le studio Mirkine servira pendant des années de boîte aux lettres aux réseaux de la Résistance. Après ses journées sur les plateaux, Léo fabrique de faux papiers, accueille les agents de Londres ou d’ailleurs, camoufle l’identité des pilotes alliés abattus par les Allemands afin de faciliter leur exfiltration. Arrêté un soir alors qu’il développe ses clichés pris sur le tournage des Enfants du Paradis de Marcel Carné, Léo est incarcéré puis déporté au camp d’internement de Drancy, où échoue également son fils. Sur son rôle à cette époque, Léo fera preuve d’une grande discrétion. Ne pas tout dire, peut-être pour inviter les suivants, sa petite-fille en l’occurence, à le redécouvrir dans ses archives. Père et fils retrouvent la liberte en août 1944, à temps pour que Léo se joigne aux assaillants de l’Hôtel de Ville de Paris occupé par les Allemands avant de donner à voir, par ses photos, l’horreur de Drancy.

Au milieu du XXè siécle, Léo, installé à Nice, jouit d’une réputation bien établie qui lui vaut d’assurer pendant longtemps encore la photographie de dizaines de films français et étrangers tout en développant son propre studio. Vont se côtoyer sous son objectif Gina Lollobrigida et Gérard Philipe (Fanfan la Tulipe, 1951), Brigitte Bardot et Jean-Louis Trintignant, la Callas et Jean Cocteau, ou encore Martine Carol et Orson Welles, Jean Gabin et Michèle Morgan, Simone Signoret et Yves Montand. Les media se disputent les images estampilées Mirkine et tous les réalisateurs de renom réclamant à leurs côtés un Mirkine avec son Rollei en bandoulière.

Léo porta par ailleurs et d’une manière plus occasionnelle un regard de reporter sur l’Afrique et l’URSS. C’est ainsi qu’il sera photographe-interprète sur Normandie-Niémen (1959), un film de guerre franco-soviétique valorisant la coopération entre une escadrille de chasse française et l’armée soviétique. Le propos transcende les désaccords idéologiques de l’époque du tournage et Léo, par ses origines, est un intermédiaire tout trouvé pour six mois de tournage à Moscou. Il en ramènera une moisson de photos, dont un portrait de Khrouchtchev, avant que les limites de la coexistence pacifique signent la fin de certaines illusions.

Léo avait aussi, depuis quelque temps déjà, laissé remonter une ancienne attirance, puisée dans ses études aux Beaux-Arts, et exploré l’esthétique du nu. Cette part moins connue et plus personnelle de son travail ne manquera pas d’influencer, entre autres, ses images de Brigitte Bardot dans Et Dieu… créa la femme (Roger Vadim, 1956).

Léo Mirkine et Kirk Douglas, 1980,
© Yves Mirkine/Coll. Mirkine

L’histoire des Mirkine, également passés derrière la caméra, fut longuement liée à celle du Festival de Cannes, notamment quand ils oeuvreront pour fournir les bobines sur l’événement annuel intégrées aux « actualités » de l’époque. On s’est arraché partout les clichés de Cannes des Mirkine, des images qui, au-delà des paillettes, parviennent à traduire la vérité des rencontres et l’humanité des stars qu’elles véhiculent. Autant de merveilles d’un temps où l’éclat se mariait à une certaine délicatesse et où la beauté s’harmonisait avec la légèreté. Kirk Douglas et Robert Michum, Sophia Loren et Grace Kelly, Cary Grant et Kim Novak, Romy Schneider et Alain Delon, ils sont tous là sous nos yeux gourmands.

Vient 1968 quand une nouvelle génération de réalisateurs, ceux de la Nouvelle Vague, saborde le festival de cette année-là. Léo reste dubitatif devant ces manières qui ne sont pas dépourvues sans doute d’une forme d’ingratitude. Il sait que sa jeunesse est derrière lui et que le cinéma, ses métiers et ses pratiques, sont en train de se transformer. Alors il prend du recul tout en visitant quelques tournages.

Léo Mirkine abandonne les plateaux à la fin des années 1960. La couleur supplante le noir et blanc qui lui est cher; un autre cinéma s’impose avec de nouvelles méthodes de travail. Mais la relève est assurée: son fils Siki a repris le flambeau et il a été à bonne école. Pendant la décennie suivante, Siki sera à son tour photographe de plateau et assistant-opérateur, notamment pour le prolifique réalisateur Georges Lautner aux studios de la Victorine. La saga familiale se prolonge ainsi tandis que se lève une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices. Le récit des années Mirkine couvrira un grand pan du cinéma populaire, jusqu’aux « années Bébel ». Léo s’est éteint en 1982, suivi dix ans plus tard par son fils.

Les clichés réunis pour ce livre montrent à quel point les Mirkine ont toujours, à travers leurs objectifs, considéré les acteurs et actrices commes des individus. C’est la complicité qui saute aux yeux et les images mettent en avant le panache, aux antipodes d’une vulgarité fournie en pâture aux voyeurs selon une tendance qui n’a fait que s’exacerber depuis leur époque. Entrer dans ce livre et regarder les images des Mirkine permet d’appréhender leur place dans l’histoire du cinéma du siècle passé mais aussi de comprendre leur goût de la liberté comme leur refus de jamais se lier à une agence photographique. Un patrimoine précieux et incomparable est étalé sous nos yeux dans cet ouvrage imposant.

En parallèle à cette publication et jusqu’au 15 mai 2022, la Ville de Nice invite à découvrir l’exposition Mirkine par Mirkine : photographes de cinéma, au Musée Masséna. Plus de 250 tirages, une reconstitution du Studio Mirkine du 88 rue de France, des oeuvres originales et des archives inédites sur un demi-siècle du cinéma français.

(*) Mirkine par Mirkine. Editions Flammarion. 400 pages – 251 x 317 mm, relié, 75 €.

Un autre regard sur le Tour de France : quand la caravane passe

© Editions Cardère. Denis Lebioda

Le Tour de France déverse chaque année son abondant torrent d’images, fixes et animées. Parfois dramatiques et souvent spectaculaires comme lorsque le Tour emprunte la montagne, ces images contribuent depuis longtemps à la popularité de l’épreuve.

Adepte d’une photographie artistique et documentaire, Denis Lebioda vit et travaille dans les Hautes-Alpes. Il se définit comme un photographe de territoire, s’attachant à traduire en images le quotidien des habitants de sa région. Plutôt que le spectaculaire, c’est le banal et l’envers du décor qui l’intéressent. L’auteur-photographe aime citer cette phase de Philippe Soupault: « L’authentique pour moi, c’est ce qui est vrai, dans ce monde où tout est faux, conventionnel, accepté ».

N’ayant pas de passion particulière pour la petite reine, c’est en écartant l’idée de saisir en pleine action les efforts des géants de la route ou les aléas de la course que Denis Lebioda a braqué l’an passé son objectif sur le passage du Tour de France dans la vallée du Champsaur. Il l’a fait les yeux grands ouverts sur les à-côtés de la compétition, sur les installations préalables au fil du parcours de l’étape, et le moment venu sur les attitudes des habitants devant ce qui vient perturber mais aussi pimenter leur vie.

© Denis Lebioda

La caravane publicitaire fait patienter les curieux dans l’attente des coureurs dont la traversée d’un village se fera souvent en moins de deux minutes. Elle assure une bonne part du divertissement comme du financement de l’épreuve. Dans ce bourg comme dans bon nombre d’autres villages de la « France profonde », le passage du Tour sera sans doute l’événement de l’année. Mais en cette maudite année 2020, l’épreuve a été retardée pour cause de covid et la fête au village s’inscrit dans un contexte de distanciation sociale. La spontanéité n’est pas absente mais elle est forcément canalysée.

© Denis Lebioda

Denis Lebioda a opté pour le format carré et le monochrome, signalant de la sorte son refus du sensationnel pour traduire son propos et ses choix. Il traque le détail ou l’insolite dans les préparatifs et l’attente de la caravane publicitaire, s’attardant sur les signes avant-coureurs (c’est le cas de le dire) comme la mise en place des barrières de sécurité et de la signalétique. Il s’amuse des pancartes et des associations, il saisit les inscriptions et les drapeaux. Ses clichés montrent les saluts et les gestes de ses concitoyens qui se laissent gentiment porter par cet emballement temporaire et canalysé.

Denis Lebioda restitue cette atmosphère bon enfant grâce à un cocktail d’humour et de bienveillance. Sa vision du Tour de France a comme un parfum d’autrefois et son approche des hommes et de leur milieu de vie n’est pas sans rappeler celle d’un certain Robert Doisneau.

On pourra se procurer cet ouvrage sur le site des Editions Cardère, une maison d’édition avignonnaise normalement spécialisée dans les thèmes du pastoralisme et des sciences humaines. L’éditeur a récemment lancé la collection Regard d’ailleurs, qui entend s’ouvrir à « la photographie des mondes qui ont un retard d’avance ». Outre cet ouvrage, on pourra y découvrir le regard du photographe Christian Malon sur Venise à pas lents, des images argentiques en noir et blanc qui ont inspiré le poète Joseph Pacini .

Visiter le site de Denis Lebioda.

(*) La caravane passe. Photographies de Denis Lebioda, textes de Guillaume Lebaudy. Editions Cardère. collection Regard d’Ailleurs. Broché avec rabats, 88 pages, format 20×25, 28 €.

De Léonard Misonne à Volker Gilbert : maîtriser l’exposition

Waterloo Place. Une photographie de Léonard Misonne, 1899.
Domaine public.

« Le sujet n’est rien; la lumière est tout! » Cette affirmation, peut-être quelque peu catégorique, est aussi un peu datée: elle est attribuée à l’un des maîtres du pictorialisme, le photographe belge Léonard Misonne (1870-1943). Elle renvoie pourtant à l’essentiel et à ce que de nombreux photographes amateurs, dans les clubs ou ailleurs, négligent trop souvent.

© Editions Eyrolles

Les progrès de l’intelligence artificielle et de l’automatisation dans la conception des appareils photographiques permettent aujourd’hui de faire sans difficulté et de partager sans attendre avec le monde entier des images correctement exposées. Il n’empêche qu’une bonne exposition implique toujours de faire parvenir sur la surface sensible (le capteur, autrefois le film) la quantité de lumière nécessaire pour représenter le sujet. L’exposition doit permettre de traduire notre sensibilité artitstique.

La qualité de la lumière intervient elle aussi de manière essentielle en révélant ou en dissimulant couleurs, formes et textures selon le propos du photographe. Le numérique n’a pas bouleversé ces données fondamentales de l’acte photographique.

Avec Les secrets de la lumière et de l’exposition (*) qui fait l’objet d’une nouvelle édition chez Eyrolles, Volker Gilbert, photographe, expert et formateur bien connu des lecteurs du Monde la Photo, souhaite nous aider à reprendre le contôle de l’exposition en passant en revue les fondamentaux de la prise de vue et du post-traitement.

Gilbert part donc des trois paramètres qui constituent le fameux triangle d’exposition (l’ouverture, le temps de pose et la sensibilité) avant d’examiner les propriétés de la lumière. Le livre entre alors dans les rouages de la capture numérique et de la mesure de la lumière, des modes de mesure aux modes d’exposition, Il aborde des notions telles que le taux de contraste et la plage dynamique, la sensibilité et le bruit numérique, les formats de fichiers. Il nous apprend à interpréter l’histogramme, à utiliser les filtres pour contrôler la quantité de lumière et à maîtriser les contrastes. Gilbert nous propose ensuite des études de cas d’exposition avant de nous guider assez longement dans le post-traitement et les manières d’ajuster l’exposition a posteriori.

Assurément concret, le livre se veut aussi complet avec des annexes dont un glossaire des termes techniques ainsi qu’une liste d’autres ouvrages pour les curieux désireux d’approfondir certains domaines ou procédes. Gilbert a poussé l’élégance — on applaudit — jusqu’à renvoyer vers d’autres auteurs et d’autres éditeurs.

Cet ouvrage devrait encourager ses lecteurs à s’interroger sur le rendu qu’ils souhaitent obtenir et à utiliser les bonnes techniques pour parvenir à leurs fins. Il devrait les convaincre de développer leur sensibilité à la lumière (et donc à l’ombre aussi) et de ne pas se contenter d’apprécier la lumière d’une manière seulement quantitative.

Léonard Misonne. Près du moulin. Années 1910. Domaine public

Car la lumière ne doit pas seulement exister en quantité suffisante; elle doit aussi, comme ci-dessus chez notre cher Léonard Misonne, servir le propos de l’image et de l’artiste-photographe.

Sans lumière, il n’y a pas vraiment photo!

On signalera à cette occasion que dans la même collection Secrets des photographes ont déjà paru en cette même année 2021 chez Eyrolles:

(*) Les secrets de la lumière et de l’exposition. Visualisation – Réglages – Prise de vie – Post-traitement. Volker Gilbert. 2è édition. Edition Eyrolles. Collection Secrets des photographes. Broché, 236 pages, format 17×23 cm, 26€.

Michael Freeman: les photos que les autres ne voient pas

Photographe et auteur très prolifique pleinement reconnu dans le milieu, Michael Freeman continue de livrer ses clés et ses recettes pour la pratique de la photographie. Son dernier ouvrage, édité chez Eyrolles (*), repose sur le concept d’accès photographique — comment accéder au sujet pour « photographier ce que les autres ne voient pas ».  

Ce livre considère comme acquis le fait que les compétences du photographe sont suffisantes pour prendre une image correcte. Freeman, qui nous a déjà donné des livres plus riches (**), s’adresse ici à ceux qui cherchent « le petit quelque chose en plus » en énumérant une série d’approches pour garantir cet accès, de la simple autorisation de se rendre dans tel ou tel endroit jusqu’à la compréhension du sujet. Notre auteur collectionne ce faisant pas mal d’évidences mais illustre son propos par des images puisées dans ses archives ou chez une trentaine de photographes dans tous les genres de la photographie.

© Editions Eyrolles

Ne pas compter sur la chance ou le hasard pour être au bon endroit au bon moment. Mieux vaut avoir une longueur d’avance — c’est l’exemple fameux de Weegee, archétype du photo-reporter arrivé le premier sur les lieux du crime car branché sur la fréquence radio de la police new-yorkaise. Pas donné à tout le monde ? Il existe aujourd’hui des applications telles Photo Pills permettant de connaître la position du soleil, de la lune ou de la voie lactée en tel ou tel lieu. Tout comme peut s’avérer payant le simple fait de revenir toujours aux mêmes endroits et d’avoir, par exemple comme Bob Mazzer, une fascination pour le métro, ce qui lui a valu de prendre la photographie figurant sur la couverture de cet ouvrage.

Comment avoir le bon contact avec son sujet ? S’offrir un guide n’est pas à la portée de tous mais il peut être plus facile de s’inscrire à un atelier photo en choisissant soigneusement son point de chute. On tirera profit des connaissances et du travail fait en amont par un photographe expérimenté. En matière de photographie documentaire, l’acceptation vaudra mieux encore que l’accès. « Lorsque vous êtes accepté, les gens vous offrent vos images. mes meilleurs clichés m’ont été offerts, je ne les ai pas vraiment capturés« , nous dit William Albert Allard. L’immersion pour produire ses effets suppose la confiance, qui se mérite, et l’observation : admettons donc de passer d’abord du temps à …ne pas photographier.

On peut discuter l’assertion de Freeman quand il fait peu de cas de la « muse » mais comment ne pas le rejoindre sur le fait que l’attente de l’inspiration ne peut servir d’excuse pour ne pas travailler et qu’il faut laisser le projet guider la prise de vue ? Le livre incite, autre évidence, à creuser les spécificités du sujet. Avis aux amateurs tentés de monter leur petit commerce : la photographie culinaire exige une expertise en cuisine autant que la maîtrise de la lumière. La règle vaudra aussi, on s’en doutait, dans les domaines de la photographie de mode ou animalière (à moins que vous soyez disposé à vous faire dévorer par un lion). La clé du succès peut-être : créer son propre domaine comme Howard Schatz, qui fit de la photographie d’humains sous l’eau sa spécialité.

En concluant ce livre un peu fourre-tout par la question de la créativité, Freeman cite les conseils de ses pairs, lesquels varient naturellement dans leur approche. Faut-il laisser délibérément de côté la quête de la perfection et le fameux « instant décisif »? Cultiver l’ambiguïté en tant qu' »essence même de la photographie » (Joël Meyerowitz)? Ou encore explorer son identité en plaçant son propre corps et son propre visage au centre du projet (Cindy Sherman)? L’exemple, comme le suggérait un magazine photo, vaut souvent mieux que la leçon. Voir ce qu’ont fait les autres d’abord, pour ensuite définir sa propre méthode et se trouver soi-même.

(*) Photographier ce que les autres ne voient pas. Michael Freeman. Editions Eyrolles. En librairie depuis le 22 octobre. 160 pages, cartonné. 19,90€

(**) On recommandera notamment chez le même éditeur, Capturer la lumière et Capturer l’instant.

Albarrán Cabrera : des oiseaux qui emportent l’imagination

© Atelier Editions Xavier Barral EXB

Les parutions se suivent heureusement dans la merveilleuse collection Des oiseaux que publient les Editions Xavier Barral, devenues cette année Atelier EXB dans l’esprit de leur regretté fondateur. Un nouvel opus (*) nous plonge avec ravissement dans l’univers poétique d’Angel Albarrán et Anna Cabrera.

Ces photographes espagnols vivent, travaillent et publient depuis longtemps en duo tel un seul photographe, bâtissant sous le nom d’artiste Albarrán Cabrera une oeuvre singulière, qui interroge notre rapport au monde. Le couple, qui traite ses images sans distinguer le ou la photographe, nous emmène entre réalité et fiction à travers des nuances chromatiques somptueuses et des procédés multiples allant du cyanotype à l’impression pigmentée en passant par le tirage platine.

Pour cette collection Des oiseaux, qui puise d’ordinaire dans l’oeuvre d’un artiste, le duo a spécialement réalisé de nouvelles photographies outre le recours à des images provenant de ses autres séries dont The Mouth of Khrisna.

© Albarrán Cabrera. The Mouth of Krishna. #235. 2015

Les cadrages sont larges ou moins larges et les oiseaux s’inscrivent parfois comme une abstraction dans le paysage. Certains ne sont que des points ou des ombres, d’autres déploient toutes leur magnificence, faisant de ce septième volume l’un des joyaux de la collection. Comme pour chaque ouvrage, ce volume contient un essai de l’ornithologue Guilhem Lesaffre concernant la vie des oiseaux dans un univers qui les fragilise chaque jour davantage.

© Albarrán Cabrera.

Basé à Barcelone, le tandem de photographes propose une oeuvre qui fait appel à notre imagination et préfère, selon ses dires, laisser l’interprétation des images à la mémoire du spectateur. Le duo se place dans le sillage d’un autre catalan, le peintre Joan Miró dont le tableau Bird in Space offre une représentation minimale de l’oiseau.

La culture japonaise aussi imprègne fortement le travail d’Albarrán Cabrera, inspirant aux deux photographes des images de nature où la beauté surgit de l’éphémère et l’esthétisme de la fragilité d’un instant. Leurs autres séries à découvrir sur leur site et sur Tumblr sont tout aussi passionnantes, comme The Mouth of Krishna  (La Bouche de Krishna), Kairos, réflexion sur la perception du temps, ou encore This is you here (C’est toi ici), réflexion sur le concept d’identité et la façon dont il se crée au départ des souvenirs.

On notera par ailleurs que l’un des deux premiers titres de la collection Des oiseaux, l’ouvrage de Pentti Sammallahti qui fut rapidement épuisé, est à nouveau disponible. En noir et blanc cette fois, les oiseaux du grand photographe finlandais semblent eux aussi sortis du silence comme d’un conte visuel. Des photographies également poétiques avec des étendues glacées et silencieuses d’où émerge une présence humaine ou animale. 

(*) Des Oiseaux. Photographies Albarrán Cabrera, Texte Guilhem Lesaffre. Editions Atelier Xavier Barral EXB. Sortie en librairie le 1er octobre 2020. Relié, 20,5 x 26 cm, 96 pages, 45 photographies couleur. Versions française et anglaise. 35 €

Obama vu par Pete Souza : l’image d’un Président

Photographe de la Maison Blanche pendant les présidences Reagan (1983-1989) et Obama (2009-2017), Pete Souza commença à photographier Barack Obama dès le jour où ce dernier devint sénateur des Etats-Unis. C’était en janvier 2005; Souza officiait alors à Washington comme photographe pour le Chicago Tribune, publication de la ville dont provenait le nouveau sénateur. Ce travail s’est poursuivi jusqu’à la campagne nationale d’Obama dont la rapide ascension déboucha fin 2008 sur son élection à la Présidence. Junior photographer sous Reagan, Sousa se vit alors proposer le job de Chief Official White House Photographer. Les termes de son engagement lui donnaient accès à tout, une facilité qui sera refusée à ses futurs collègues par le successeur d’Obama. Souza, lui, fut présent à chaque instant du double mandat d’Obama, au service de la transparence voulue par les communicants du Président mais photographiant aussi pour l’histoire et les archives nationales.

© Pete Souza/Official White House Photo. May 8, 2009.
Un membre du staff était venu en famille à la Maison Blanche pour une photo de départ avec le Président. Son petit garçon dit au Président qu’il venait de passer chez le coiffeur et demanda si la coiffure d’Obama donnait la même impression au toucher. Obama invita le petit garçon à vérifier par lui-même.

La relation de Souza avec Obama devint très étroite et la confiance installée déboucha sur une véritable amitié. Ses journées dans les pas présidentiels duraient dix ou douze heures, parfois plus, et les semaines de travail comptaient parfois sept jours. Souza prit ainsi plus de deux millions de photographies (sic), documentant les moments les plus dramatiques comme les plus insouciants. Il se fit également discret dans les décisions les plus difficiles et les rencontres les plus souriantes, au milieu des fous-rires comme des peines profondes, devant la vie de famille comme dans les grands rendez-vous internationaux. Il saisit la réaction du Président face aux tragédies (les fusillades de masse et les massacres dans les écoles) et dans les tensions les plus extrêmes comme ici dans la Situation Room au moment du raid dans le repaire de Ben Laden. Mais il rendit compte tout autant des instants de détente et de réjouissance, dans le Bureau Ovale, sur un court de basket ou de golf .

The Situation Room, 2 mai 2011 © Pete Sousa.

Certains n’ont pas manqué de voir dans les photos de Sousa une valorisation à seule fin politique — la Maison-Blanche diffusait évidemment ses images — et une intention de jouer la transparence sans perdre le contrôle. Ce n’est pas notre appréciation car on voit réellement beaucoup de choses dans cette exceptionnelle chronique photographique. De nombreux clichés ne peuvent tromper. On suit un père, un mari, un Président, mais toujours le même homme.

Se souciant apparemment comme d’une guigne de la présence du photographe, Obama paraît en phase avec les militaires comme avec les enfants, avec les dignitaires étrangers comme avec la classe politique du Congrès, avec le personnel le plus modeste comme avec les artistes et les musiciens de son temps (Bono qui saisit une guitare; Paul McCartney qui chante Michelle devant le couple présidentiel à la Maison Blanche). Aucune glorification ou mise en scène ne transparaît.

© Pete Souza. Little Brown and Company

C’est tout cela et l’intuition merveilleuse de Souza qui fait la richesse d’un livre grand format (*) rassemblant plus de 300 images parmi les favorites et les plus emblématiques capturées par le photographe-observateur. On tient dans les mains un formidable ouvrage déroulant non seulement une histoire en train de se faire avec les ambiances mais aussi la preuve d’un vrai talent pour capter l’anecdotique dans tout ce qu’il peut révéler. S’en dégage un portrait intime et surtout sans doute la stabilité d’un caractère : une personnalité calme, réfléchie, attentive aux enfants comme à ses proches et ses collaborateurs, dégageant une classe sans apprêt et une profonde empathie.

Le parcours du livre est chronologique, depuis la première inauguration en janvier 2009 jusqu’à l’adieu en hélicoptère en janvier 2017. Les images de Souza sont accompagnées de légendes et courts textes qui restituent la scène photographiée dans son contexte. Superbement composé, mis en page et imprimé, le livre est également d’un bel apport pédagogique pour les apprentis-photographes tant le sens du placement et les choix de composition de Souza sont à chaque fois pertinents.

Souza ne cache pas qu’il prit pour modèle le photo-journaliste Yoshi Okamoto qui fut le photographe présidentiel officiel sous Lyndon Johnson dans les années 1960: Okamoto lui aussi se vit octroyer l’accès au quotidien de Johnson. Sans chercher la mise en scène, comme le rapporte Souza, Okamoto « prenait ses clichés d’un point de vue artistique ». L’époque n’était pas la même et le matériel et les techniques du photographe était forcément différents, Okamoto utilisant une pellicule noir et blanc là où son successeur travailla en numérique et en couleurs.

Après la publication de son livre, Pete Souza, qui se considère comme un historien muni d’un appareil photographique, a sorti cette année un film documentaire, The Way I See It , un point de vue sur la fonction présidentielle américaine sous les deux administrations servies par Souza. Des administrations certes bien différentes voire opposées politiquement mais dont les titulaires respectaient et valorisaient au plus haut la dignité de leur charge. Un point de vue à prendre en compte à ce moment décisif pour la suite de l’histoire des Etats-Unis… et du monde.

(*) Obama. An Intimate Portrait. Pete Souza. Foreword by Barack Obama. Textes en anglais. 350 pages. Première édition novembre 2017. Editions Little Brown and Company. 50 USD; +/-43€

A voir: Pete Souza raconte son travail photographique pendant les années Obama. https://www.youtube.com/watch?v=SfyVUXMMKic